dimanche 1 février 2009

La Privatisation de la guerre

Une société militaire privée est une entreprise qui fournit un service à un gouvernement ou une organisation lors d’un conflit armé ou dans des situations à risque. Ce sont les principaux acteurs de la privatisation de la guerre.

La participation aux guerres peut être d’ordre logistique, d’entretiens des systèmes d’armes, protection (des lieux et des personnes), formation de polices ou de militaires étrangers, la collecte et l’analyse de renseignements et parfois les combats.

En 2006, le marché était estimé à 100 milliards de dollars de chiffre d’affaire dont plus de 52 milliards pour les seuls États-Unis.


I) Histoire

Les mercenaires ont toujours existé dans l’histoire de la guerre. On peut les définir comme des hommes qui se battent non pas pour des raisons idéologiques mais contre salaire pour un autre pays que le leur.

La privatisation de la guerre commence lorsque les forces armées d’un pays sont remplacées par celles d’une compagnie privée.

Les années 1990

La privatisation de la guerre commence avec la société Executive Outcomes fondé en Afrique du Sud en 1989 par d’anciens militaires et membres des forces spéciales impliqués dans le maintient de l’apartheid. La société a été employée, à partir de 1992, par des sociétés pétrolières pour sécuriser les exploitations en Angola.

A son apogée, elle était sous contrat avec plus de 30 pays majoritairement africains et possédait des hélicoptères de combat, des avions et des véhicules blindés. Executive Outcomes a été dissoute en 1998.

Plus généralement dans les années 1990, avec la chute de l’Union Soviétique et l’apparition du terrorisme international, de nombreuse compagnies ont recrutées des soldats démobilisés par la fin de la Guerre Froide et ont rachetées une partie de l’arsenal soviétique que les nouvelles républiques indépendantes ne pouvait entretenir. C’est ce qui leur a permis de s’insérer de manière crédible sur le marché.

De nombreuses dictatures africaines se sont servies et se servent toujours de soldats privés pour maintenir leurs régimes en place. Il ne s’agit pas de remplacer l’armée nationale mais de sécuriser les points stratégiques (palais, mines, usines) avec des hommes qui ne trahiront pas pour leur indépendance nationale mais qui sont liés par contrat.

La guerre contre le terrorisme depuis 2001

Avec la déclaration de la guerre mondiale contre le terrorisme au lendemain du 11 septembre 2001, la guerre privée a pris une nouvelle dimension. La multiplication des théâtres d’opérations, dans différents pays a créé une nouvelle niche pour les compagnies privées.

En effet, les conflits de basse intensité, où un déploiement est dangereux diplomatiquement, politiquement ou économiquement pour les armées régulières, fondent le marché des compagnies privées.

La guerre en Irak en est l’exemple le plus flagrant actuellement, c’est pour cela que nous allons nous attarder sur ce cas particulier.

Les employés des sociétés privés de sécurité constituent le deuxième contingent engagé en Irak (15.000 hommes), devant l'armée britannique. Il s’agit donc d’une force armée considérable qui agit à titre privé.

Les sociétés sont employées par le gouvernement américain, pour assurer la sécurité des officiels ou de certains lieux, pour sécuriser les champs de pétrole, pour interroger les prisonniers, etc. Mais, elles sont égallement employées par les ONG pour assurer la sécurité de leurs personnels, de leurs convois, de leurs installations.

Cette présence importante n’est pas sans entraîner des dérives.

Des employés des sociétés CACI et Titan Corp. ont été mêlés au scandale d’Abu Ghraib. Mais d’autres incidents on eu lieu. Quatre Américains employés de Blackwater ont été tués à Fallouja en mars 2004.

En juin 2005, une vidéo postée sur Internet montrait des employés de Aegis Defence Services tirer sur des civils irakiens.

Enfin en septembre 2007, le gouvernent irakien a retiré la licence de Blackwater après que la société ait été impliquée dans la mort de huit civils irakien lors d’une fusillade après l’explosion d’une bombe sur le parcours de véhicules du Département d'État américain.

Blackwater emploie environ 1.000 personnes en Irak et dispose d’une flotte d’hélicoptères.


II) Intérêts stratégiques

Aujourd’hui, la guerre est privatisée de bout en bout, les compagnies fournissent des plans stratégiques, des moyens d’analyse des renseignements (par exemple la Science Applications International Corporation (SAIC) à qui la NSA sous-traite une partie de l’analyse du renseignement électronique) mais également des soldats spécialisés dans la stabilisation ou dans les opérations spéciales.

Les employés privés de la guerre sont issus des armées et des forces spéciales européennes (en particulier britanniques et française), américaines, sud-africaines et israéliennes mais également des services de renseignements anglais et américains.

Intérêt politique

D’un point de vue politique on peut souligner que des États peuvent avoir recourt à des compagnies privées pour de nombreuses raisons.

Premièrement, cela permet de ne pas s’engager officiellement dans un conflit. La compagnie étant privée, elle n’agit pas sous un drapeau national et ne peut pas être considérée comme représentant un État particulier. Ce qui permet, par exemple, a un État d’en soutenir un autre sans le déclarer officiellement.

Deuxièmement en cas d’un conflit engagé, cela permet de diminuer artificiellement le coût humain de la guerre. L’opération militaire n’est plus exécutée par des citoyens conscrits ou engagés mais par des professionnels.

Troisièmement, certains gouvernements n’ont pas confiance dans leur armée nationale et disposent ainsi d’hommes efficaces et entraînés.

Quatrièmement, cela permet de désengager les unités d’élites du pays pour les envoyés sur un autre front pendant que les mercenaires assurent la stabilisation et la collecte de renseignement sur le théâtre précédent.

Cinquièmement, cela permet de protéger le gouvernement qui emploie la compagnie des retombées s’il y a méprise. Si la compagnie se trompe de cible, le gouvernement n’est pas responsable, si les renseignements sont faux, ce n’est pas de la faute de l’agence gouvernementale, etc.

Pour les entreprises multinationales qui veulent protéger leurs intérêts, cela permet d’avoir des professionnels issus des forces armées très bien entraînés et aguerri sans avoir à dépendre d’un État.

Pour les ONG ou les institutions internationales, cela permet d’assurer la sécurité de leur personnel sans demander d’aide à un État particulier qui pourrait refuser ou poser des conditions qui compromettraient la mission de l’organisme qui se vent indépendant.

Intérêt économique

L’intérêt économique est très clair. Pour les entreprises ou les ONG, cela permet de ne pas avoir à payer la formation très longue de ces employés pour qu’ils deviennent des professionnels de la guerre.

Pour les États, cela permet d’avoir une armée à moindre coût. Même si les mercenaires sont payés trois à quatre fois plus que dans l’armée nationale, le coût de revient pour le client est bien moindre. Cela est dû, entre autre, au fait que la compagnie possède les armes et les équipements, l'État n’a donc pas besoin de les achetés, ainsi que les équipes de maintenances, qui coûtent très cher à former. De plus la logistique privée est plus efficace et meilleur marché que celle des militaires selon le Pentagone américain.

D’autre part, la formation des personnels militaires par les compagnies privée permet d’économiser également la formation des instructeurs. C’est le cas lorsque le formateur est mis à la retraite de son armée pour des raisons d’ancienneté, par exemple, et qu’il exerce le même métier pour le même pays mais par l’intermédiaire d’une société privée. L'État paye le vétéran devenu civil et n’a pas besoin de payer la formation d’un instructeur plus jeune.

Enfin, autre aspect économique, celui du lobbying aux États-Unis en particulier.

Il y a de très forts liens entre les responsables des compagnies et les membres des gouvernements. En particulier aux USA où les hommes politiques viennent souvent du privé ou de l’armée. C’est ainsi que les contrats américains sont passés prioritairement avec des compagnies nationales dont les dirigeants ou ex-dirigeants sont liés à l’administration en place.

En outre, les bénéfices de ses compagnies sont reversés en partie dans les campagnes électorales des hommes politiques qui les ont engagées. Ainsi 17 entreprises de guerres privées basées aux USA ont investit plus de 12,4 millions de dollars dans les campagnes politiques depuis 1999.

A ceci, il faut ajouter le lobbying actif des compagnies en faveur des lois ou des hommes politiques qui les encouragent et les soutiennent.


III) Controverse

La privatisation de la guerre suscite la controverse au niveau national comme au niveau international.

Au point de vue international, doit-on considérer les troupes comme de simples civils ou comme des combattants ? Connaissent-ils le droit humanitaire ? Quelle est la chaîne de commandement ? Etc.

Il existe, de plus, un vide juridique national les concernant. Ainsi, il n'y aucune loi expliquant clairement : leur emplacement dans la hiérarchie militaire, ce qu'il se passe si un employé refuse de travailler s'il considère que sa sécurité est trop mise en jeu, le régime juridique appliqué si un employé tue volontairement ou par accident un civil, leur statut dans un pays étranger pour lequel il travail par l’intermédiaire de la compagnie, etc.

Mais les risques tiennent surtout au caractère mercenaire de ces troupes. Les employés sont pour la plupart d’anciens militaires qui ont été encadrés par une chaîne de commandement et qui se retrouvent seuls sur le terrain. Ce qui amène inévitablement à des dérives.

Ainsi, il est arrivé plusieurs fois que des employés de ces sociétés soient mêlés à des affaires douteuses, comme le racket et le trafic d'adolescentes en ex-Yougoslavie, et la torture dans la prison d'Abu Ghraib.

Dans le cas du scandale lié aux actes de tortures dans la prison irakienne, l’armée américaine a révélé que six employés de CACI et de Titan Corp. étaient directement impliqués et que les compagnies étaient responsables à hauteur de 36% dans les incidents. Mais aucune action en justice n’a été intentée contre les employés ou les compagnies.


Conclusion

Il ne fait aucun doute que les compagnies privées de sécurité ont de beaux jours devant elles. De mercenaires, elles sont devenues des compagnies qui couvrent le marché des armes de la fabrication de celles-ci aux hommes qui les utilisent. Elles vont même jusqu’à fournir l’entraînement, la logistique et la stratégie de la bataille.

Cette nouvelle activité n’est pas sans susciter des craintes dans la communauté internationale. Certains auteurs voient, en effet, un nouveau type de colonialisme. Des États faibles ont leur sécurité prise en charge par des compagnies principalement américaines. Compagnies qui sont elle-même très proches du pouvoir aux USA. Ainsi, si on imagine un pays dont la sécurité des dirigeants est assurée par une entreprise, disons américaines, que se passera-t-il si la compagnie décide (ou est priée par le gouvernement américains) de quitté le pays ? On voit bien quelle sorte de domination peut être exercée par ce biais.

D’autres auteurs privilégient un regard plus global et constatent que ceci revient à l’apparition d’un concept ou tout État peut acheter des services de sécurité sur le marché international auprès de compagnies, composées de personnes d’horizons et de nationalités différentes unies par leurs fonctions de contrôle, qui agissent sans considération des coûts en vies humaines et en échange d’argent et de ressources naturelles.

Cette, vision est certes pessimiste mais s’appuie sur les nombreux problèmes que nous avons énumérés.


Glossaire :

Aegis Defence Services : compagnie militaire privée basée à Londres qui travaille avec le gouvernement américains et l’ONU en Afghanistan, en Irak, au Kenya, etc.

Blackwater : société militaire privée créée en 1997 et basée à Norfolk.

CACI : société de conseil en stratégie basée à Arlington et employant environ 11.800 personnes.

SAIC: société militaire privée américaine travaillant avec le Pentagone et spécialisée dans la stratégie et le renseignement.

Titan Corp. : société militaire privée américaine spécialisée dans le renseignement et les communications, elle emploie également des interprètes et des traducteurs pour répondre aux besoins des armées à l’étranger.

Sources :

- Yacine Hichem Tekfa, « Le Mercenariat moderne et la privatisation de la guerre », Géostratégiques n° 9, Octobre 2005

- http://www.privateforces.com/

- Privatisation de la guerre : La sous-traitance des tâches militaires, Eclairage, Comité International de la Croix Rouge, 23 mai 2006.

- Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Pétrole et sécurité privée au Nigeria : un complexe multiforme à l'épreuve du feu», Cultures & Conflits, 52, 2003, [En ligne], mis en ligne le 3 juillet 2004.URL : http://www.conflits.org/index983.html.

- http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Private_Military_Corporations

- Barry Yeoman, "Soldiers of Good Fortune", Mother Jones, June 1, 2003

- Wikipédia, l’encyclopédie libre.