mardi 4 novembre 2008

Les enjeux de la Tchétchénie


La République tchétchène, également nommée Itchkérie par les indépendantistes, est une république constitutive de la Fédération de Russie. Elle est située sur le versant nord des montagnes du Caucase et la vallée de Tchétchénie, dans le District fédéral du Sud. Elle a été proclamée en novembre 1991 mais elle était république autonome de Tchétchénie-Ingouchie depuis le 5 décembre 1936 (selon la nomenclature des entités territoriales soviétiques faisant référence aux différents degrés d'autonomie). Staline démantela la République en 1944, mais elle fut restaurée par Khrouchtchev en 1957.



I) Histoire :

Du moyen-âge à l’URSS :
Dès le VIIe siècle, les Arabes introduisent l'islam, mais l'islamisation de la région ne sera réellement achevée qu'au XIIIe siècle. Il s’agit d’un islam sunnite influencé par le soufisme.

En 1922, les Tchétchènes constituèrent pour la première fois une structure administrative distincte, la Région autonome de Tchétchénie, avec un certain degré d’auto-gouvernance. En 1936, la région fut incorporée dans la République socialiste soviétique autonome de Tchétchénie-Ingouchie (RSSA de Tchétchénie-Ingouchie).
Sous Staline, les Tchétchènes résistèrent à la collectivisation forcée des terres.

En février 1944, les Tchétchènes, accusés, comme nombre d’autres peuples du Caucase, de collaborationnisme avec l’occupant allemand ennemi de l’URSS, sont déportés en masse (478 479 personnes dont 387 229 tchétchènes) en Asie Centrale.
Un tiers de la population (environ 170 000 personnes) périt dans les convois. La République de Tchétchéno-Ingouchie est dissoute sur ordre de Staline, les cimetières et lieux de culte sont détruits.

En 1957, un décret de Khrouchtchev rétablit la République et les Tchétchènes auront l’autorisation de retourner chez eux.
Le retour se fera dans des conditions difficiles car dans la majorité des maisons et des terres sont occupées par des Russes, des Géorgiens et des Ossètes, qui avaient souvent été envoyés de force repeupler les villages au cours de la dernière période du stalinisme.

Le général Djohar Doudaev, ancien pilote de chasse de l’Armée soviétique prit le pouvoir suite à un coup d'État mené le 5 septembre 1991 par un « Comité exécutif du Congrès national tchétchène ». Le discours démocratique, nationaliste et social de Doudaev devint assez rapidement un éloge de la libération nationale et religieuse doté d'une référence historique forte, ce qui enflamma les masses. L'indépendance fut déclarée le 2 novembre 1991, et Doudaev légitimé président de la République par le nouveau Parlement.

Première guerre de Tchétchénie : 1991 - 1996
Entre 1991-1994. Les nationalistes tchétchènes chassent 250 000 Russes, Juifs, Arméniens et autres nationalités non-Vaïnakh de Tchétchénie. Plusieurs milliers d'eux sont assassinés ou pris en otage, notamment à Grozny où les deux tiers de la population étaient russophone.
L'industrie et la vie économique de la Tchétchénie se criminalisèrent progressivement avec comme phénomène de fond le détournement des ressources monétaires fédérales et pétrolières. Le kidnapping massif d'hommes contre rançon se développa rapidement.
L’attaque surprise de l’armée russe en 1994 sous le commandement de Boris Eltsine, devint, avec plus de 20 000 soldats, la plus grande opération militaire organisée par Moscou depuis son intervention en Afghanistan en 1979.

Les batailles entre les troupes russes et les Tchétchènes furent particulièrement cruelles : exactions massives par les troupes fédérales d'un côté, et exécutions d’otages russes ou occidentaux par les Tchétchènes, de l'autre. Grozny est tantôt sous le contrôle des Russes tantôt sous celui des indépendantistes tchétchènes.
Eltsine avait besoin d'une guerre fulgurante et victorieuse pour prouver à son peuple que la Russie était encore une superpuissance et asseoir ainsi son autorité comme commandant en vue des élections présidentielles. Mais au lieu d’une blitzkrieg spectaculaire, la guerre s'avéra un échec militaire et humanitaire pour la Russie qui rencontra une résistance féroce de combattants de nationalités différentes, armés jusqu'aux dents avec des munitions lourdes dernier cri. Malgré un arsenal spectaculaire et une parfaite connaissance du terrain (car il s'agissait de son propre pays cartographié en détail), la guerre s'embourba vite, provoquant d’énormes pertes humaines et matérielles.
N'étant plus capable de continuer des opérations militaires d'une telle complexité, la Russie accepta de jeter l'éponge. Un accord de paix fut signé le 31 août 1996 à Khassavyourt. Cet accord conduisit à un statu quo laissant à la Tchétchénie (rebaptisée "République Islamique d’Itchkérie") une autonomie gouvernementale de facto en échange d'une promesse du report des pourparlers sur l'indépendance (les négociations furent repoussées jusqu'en 2001) et de l’arrêt des opérations d'enlèvements d'hommes. La charia fut également décrétée. La nouvelle situation permit par la suite à une minorité de prendre les rênes de l’économie, mais changea à peine le quotidien des habitants.

Deuxième guerre de Tchétchénie : 1999 - 2001

Les attentats de Moscou, les exécutions sommaires par décapitation de plusieurs otages, y compris occidentaux, et les intrusions massives des forces tchétchènes au Daghestan voisin en vue d'y provoquer un coup d'État islamiste, déclenchèrent la deuxième guerre en septembre 1999, sous le commandement de Vladimir Poutine, alors Premier ministre russe. L'opération se solda par un rapide succès et la prise de Grozny par les forces fédérales russes fortes de 80.000 hommes en janvier 2000. Poutine instaura la gouvernance directe de Moscou dans la République.
Pour rétablir l'ordre, l'armée russe intervenait une fois encore dans la république séparatiste avec 80.000 hommes le 1er octobre 1999. Le second conflit commençait. Il a déjà été plus meurtrier que le premier.
A partir du mois de mars 2000, les nettoyages se multiplient et on assiste également selon Amnesty à des pillages, des disparitions, des viols et des exécutions après arrestations arbitraires.

En janvier 2001, les ONG quittent le pays et le président russe Vladimir Poutine décide que la répression doit être menée par le service de sécurité (le FSB) et non plus l’armée russe.
D’après Mémorial, une ONG russe qui est restée en Tchétchénie, des milliers de disparitions ont eu lieu depuis le début de la deuxième guerre.

Les statistiques officielles russes recensaient 4 280 morts et 12 368 blessés. Vladimir Poutine affirma avoir « liquidé » plus de 13 000 combattants tchétchènes.

Immédiatement après la fin des opérations militaires majeures de la Seconde guerre, le président Poutine réaffirma les bases de la nouvelle politique de Moscou en Tchétchénie : transfert du maintien de l’ordre à la milice locale, élections (vraisemblablement truquées) d’un Président et d’un Parlement au suffrage universel, traité de délimitation des pouvoirs entre la Fédération de Russie et la République de Tchétchénie et reconstruction.

II) Enjeux économiques :

La petite république de Tchétchénie est relativement riche en pétrole et gaz naturel. Mais l'importance de ses gisements est souvent surestimée - durant toute la période soviétique, la Tchétchénie importait massivement du pétrole d'Azerbaïdjan et de Sibérie pour approvisionner son industrie pétrochimique. Les autres industries étant quasi-absentes, la République fut essentiellement rurale et sous-développée, ce qui a sûrement alimenté le mécontentement populaire, l'exode vers le Grand Nord et une animosité envers Moscou.

Une des raisons des conflits d'intérêts russes et américains dans le Caucase n'est pas tant le contrôle des ressources naturelles de ces territoires (le Caucase du Nord russe produit à peine 1,5 % des 459 millions de tonnes de pétrole que la Russie extrait annuellement) que le contrôle de l'acheminement de l'or noir depuis la mer Caspienne hors-Russie (Azerbaïdjan, Kazakhstan) dont les pipelines passent par cette région (Géorgie, Arménie, Transcaucasie russe - dont la Tchétchénie) jusqu'aux ports de la Méditerranée, particulièrement le port de Ceyhan en Turquie. Profitant de l'instabilité dans la Tchétchénie, les États-Unis ont fait pression pour qu'un pipeline alternatif soit construit à travers l'Azerbaïdjan et la Géorgie vers la Turquie sans passer par la Tchétchénie ; financé par les compagnies américaines, il fut achevé en 2005.

Aujourd’hui, la Tchétchénie n’a plus l’importance économique qu’elle avait dans les années 1990 et le début des années 2000. Mais depuis les débuts de la guerre contre la terreur de George W. Bush, la république du Caucase est devenue un enjeu politique pour le président russe.

III) Enjeux politiques :

Tout comme à l'époque des premières conquêtes, depuis 1994, la Russie mena les guerres en Tchétchénie pour, entre autres, conserver son influence dans l'ensemble du Caucase. Elle continue son ingérence par d'autres moyens dans les conflits séparatistes de certaines républiques autonomes de Géorgie (Abkhazie, Adjarie, Ossétie du Sud) et d'Azerbaïdjan (Haut-Karabagh).

Les opposants du président russe affirment que Poutine avait besoin de la guerre en Tchétchénie pour justifier un pouvoir de plus en plus autocratique, et dénoncent parfois le rôle trouble du FSB dans le conflit, dont l'actuel président a été directeur. La réforme actuelle des régions russes dont les gouverneurs ne sont plus élus mais désignés par le président, témoignent d'ailleurs de la dérive vers un fédéralisme de moindre ampleur et une plus grande concentration du pouvoir dans les mains de l'institution présidentielle. Selon ces opposants, Vladimir Poutine utilise la menace terroriste tchétchène comme prétexte au renforcement des dispositions de sécurité nationale, souvent au détriment des libertés individuelles, telles que la liberté d'expression. Après les événements du 11 septembre 2001, les autorités russes parlent constamment de présupposés liens des séparatistes tchétchènes avec Al-Qaeda et s'assurent du soutien incontestable des États-Unis et de plusieurs pays européens.

Les autorités russes affirment disposer de preuves de liens des groupes djihadistes tchétchènes (surtout de ceux de l'émir Al-Khattab ou de Chamil Bassaïev) avec des réseaux terroristes étrangers, notamment Al-Qaïda. Le juge Jean-Louis Bruguière, patron du pôle antiterroriste français, confirme également l'existence de ces liens.

La république tchéchène est donc devenue une sorte de laboratoire pour les expérimentations de la lutte antiterroriste mener à la « russe » mais non pas mener par Moscou mais par les autorités locales du président Ramzan Kadyrov. Les associations de défense des droits de l’homme et notamment Amnesty International s’inquiètent des enlèvements, de la torture et des assassinats qui sont les méthodes des services spéciaux du président pro-russe.

IV) Perspectives :

On peut s’inquiéter de la présence depuis le milieu des années 1990 de musulmans wahhabites qui, comme en Afghanistan, ont pris la place des institutions et des ONG. Il est d’ailleurs avéré que des hommes formés par Al-Qaïda en Afghanistan sont partis combattre en Tchétchénie lors de cette même décennie (voir entre autres Omar Nasiri, Au cœur du Djihad, Flammarion, 2006). Il est probable que malgré la présence du FSB et de l’armée russe (ou pro-russe de Ramzan Kadyrov) des agents du réseau terroriste islamiste et peut être même des camps d’entrainements se trouvent dans le pays.
Mais le danger est également dans l’extrémisation des méthodes utilisées pour lutter contre les éventuels terroriste par le régime qui obéit au Kremlin. En effet, les enlèvements, actes de tortures et les assassinats avérés par Amnesty et le Comité Tchétchénie ne peuvent amener qu’à une radicalisation de la population et donc la montée du terrorisme et de l’indépendantisme.

Même si la situation tend à se normaliser, le climat de guerre civile est encore perceptible et il est fort probable qu’il ne disparaisse pas du jour au lendemain. Les actions avérées (et les autres) du gouvernement en place et soutenu par Moscou, ne permettent pas un retour à la normale aisé.

D’un point de vue international, la vision des « terroristes tchétchènes » de Vladimir Poutine et la volonté de retrouver la grandeur de la Russie, risque de pousser l’Europe et les Etats-Unis à garder leur attitude passive et complaisante en dépits des vrais dangers qui menacent, non seulement la république du Caucase mais également toute la région et d’une moindre manière tout le monde musulman.

Ajoutons pour finir que l’élection de Dmitri Medvedev au poste de président de la fédération de Russie apporte un espoir puisque celui-ci n’ayant pas été formé par les services secrets russes choisira peut-être de ne pas poursuivre cette guerre. Mais le besoin de sécurisation de la région ainsi que l’omniprésence de Vladimir Poutine ne laisse que peu de chance à cette hypothèse.


Glossaire :
Soufisme : il s’agit d’un courant ascétique et mystique de la religion musulmane. Il est apparu au VIIIème siècle. C’est un courant dans lequel les initiés cherchent, sous la direction d'un maître, à parvenir à l'union spirituelle avec Allah et à la connaissance de la vérité divine. Il est considéré comme un courant mystique au sein de l’islam.
Sunnisme : il s’agit du principal courant religieux de l’islam (les deux autres principaux étant le chiisme et le kharidjisme), qui représente entre 80 et 85% des musulmans soit environ 1,2 milliards de personnes.
Vainakh : il s’agit d’un terme générique qui désigne les peuples Tchétchènes, Ingouche et Kistes du Caucase. Ces peuples ont en commun une culture et leurs langues sont rassemblées sous le terme Nakh.

Sources :
-Tchétchénie, dix clés pour comprendre, Comité Tchétchénie, La Découverte, 2005.
-Le conflit tchétchène, Amnesty International France, mars 2006.
-Anne Rivat, « Ravalement de façade en Tchétchénie », Le Monde Diplomatique, Mai 2006.
-Wikipédia, l’encyclopédie libre.

Par AD pour GlobalAnalysis France