mercredi 14 mai 2008

Géopolitique du cinéma

A l'occasion du 61ème festival de Cannes qui a ouvert aujourd'hui, nous vous proposons cet article un peu particulier.

Le cinéma, apparu à la fin du XIXème siècle, est à la fois un art, un divertissement, un spectacle et un enjeu économique. Nous proposons ici d’étudier la géographie du cinéma et de la relier aux enjeux économiques et politiques suscités par l’industrie florissante qui se cache derrière ce mot.

I) Géographie du cinéma

Voyons premièrement la géographie mondiale du cinéma. La production, la consommation c'est-à-dire la répartition des spectateurs et enfin d’autres données telles que les lieux de tournages, les nationalités des techniciens, etc.

1) La production

Nous pouvons d’hors et déjà citer les cinq pays qui produisent le plus de film, se sont dans l’ordre : (2005, Observatoire Européen de l’Audiovisuel)

- Inde avec 934 films par an.
- Etats-Unis avec 699 films.
- Japon avec 356 films.
- Chine et Hong Kong avec 260 films.
- France avec 240 films
L’Union Européenne a produit 798 films et le premier pays africain l’Egypte avec 24. On peut également citer les neuf pays qui n’ont produit aucun film sur la décennie 1988-1999 : les Bahamas, le Bahreïn, le Bénin, le Cambodge, le Kenya, la Namibie, le Nicaragua, le Rwanda et le Tchad (pour le reste des statistiques se rapportés aux sources et notamment le rapport de l’UNESCO).

On peut ensuite dégager des aires culturelles parmi les plus gros producteurs. Nous prenons ici les chiffres du rapport de l'UNESCO, ce sont donc les moyennes sur la décennie 1989-1999.

Tout d’abord, le groupe formé de l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui produisent à eux quatre 500 films par an et forment un marché anglophone homogène.

Ensuite le groupe européen qui produit environ 450 films dans des langues et se rapportant à des cultures diverses. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène mais ils ont en commun leur origine géographique et le fait d’être très subventionné.

Vient ensuite le bloc asiatique avec les plus gros producteurs mondiaux. Ils ne forment pas un groupe homogène mais sont les leaders sur le marché.

25 pays ont une production entre 20et 199 films par an. Ce sont globalement les pays en développement dont l’industrie cinématographique n’est pas très stable.

Enfin une cinquantaine de pays produisent moins de 19 films par an. On trouve les pays les plus pauvres et plus peuplés (Ethiopie, Côte d’Ivoire, Irak, etc.) mais également les plus riches et moins peuplés (Irlande, Israël, Pays-Bas, etc.).

2) Les spectateurs


Les pays producteurs sont également les exportateurs au point que le rang des pays est sensiblement le même. Ainsi l’Inde premier exportateur, environ 60% de la production par ainsi à l’étranger en particulier en Afrique de l’est.

Les Etats-Unis et l’Europe sont les plus gros importateurs de films. Principalement entre les deux pôles. Ainsi les américains exportent vers l’Europe et l’Europe vers l’Amérique du Nord. Les Etats-Unis exportant environ un tiers de plus que ce qu’ils importent. Ce qui apporte un revenu annuel net de 5,6 milliards de dollars.

Les pays africains sont donc les gros importateurs, en particulier des productions européennes et américaines. L’Afrique se divise en deux sous-régions linguistiques, anglophones et francophones. Les pays anglophones reçoivent 70% environ de production américaine contre 15% de française et européennes. Les pays francophones importent également de pays européen ou des Etats-Unis (environ 40%).

L’Amérique Latine produit très peu de films et importent majoritairement des Etats-Unis. Par exemple au Chili et au Costa Rica les films hollywoodiens représentent 95% du marché intérieur.

D’autres pays, tels que la Fédération de Russie, la France, l’Allemagne et l’Italie, sont en train de prendre pied en Asie et en Afrique. Le Royaume-Uni est probablement le pays qui enregistre les plus grosses ventes à l’étranger pour ses films.

Nombres de salles par millions d’habitants


3) Autres aspects

Pour être complet nous allons aborder l’aspect géographique des lieux de tournages ainsi que les festivals.

On peut distinguer le tournage en studio et le tournage en décors naturel.

Pour les studios, on peut distinguer les studios historiques qui depuis toujours accueillent les productions nationales, aux USA à Hollywood, en Indes Bollywood, Cinecittà à Rome, etc. Mais depuis quelques années on assiste à une délocalisation des studios notamment en Australie et dans les pays d’Europe de l’Est.

Pour les décors naturels, les Etats-Unis sont les principaux lieux de tournage mais également certaines villes comme Paris ou Prague, le désert du Maroc, la Thaïlande, Pétra et Malte.

Le plus souvent les techniciens et autre intermittents sont recrutés sur les lieux de tournage.

On dénombre des festivals de cinéma dans plus de 40 pays du Monde. Certains sont de renommé internationale comme Cannes, Berlin ou Venise d’autres sont plus confidentiels comme le Festival international du film sur l'environnement au Brésil.

La France est le pays du Monde ou il y a le plus de festivals suivit par l’Allemagne avec 20, le Canada avec 18, les Etats-Unis, l’Italie.

Festivals

II) Enjeux économiques

Le cinéma a généré 23,24 milliards de dollars de recettes en 2005 uniquement pour les majors. Dans les huit pays les plus développés il y a eu, en 2007, plus de 2400 millions de tickets achetés dont 188,7 millions d’entrées en France et plus de 1448 millions aux Etats-Unis.

Sachant qu’un film coûte, en moyenne, 60 millions de dollars aux USA et un peu plus de 6 millions en France, on devine tout de suite les enjeux économiques. Entre les producteurs qui déboursent l’argent et qui attendent un retour sur investissement, les studios, les acteurs, les techniciens qui sont du personnel à payer. Les autorisations de tournages, les locations en tout genre (voitures, hôtels, lieux de tournages, avions, parfois du matériel militaire pour les films) on peut envisager facilement que les pays qui on un grand patrimoine historique cherchent à attirer les producteurs. C’est d’autant plus le cas des pays d’Europe de l’Est qui ont des équipements de l’époque soviétiques pour figurer la Russie de la guerre froide dans les productions américaines ou autres.

La distribution internationale des films est un moyen de le rentabiliser, vu que le distributeur du pays d’accueil prend à sa charge l’adaptation à son marché (traduction, doublage, sous-titrage, etc.).

Les festivals mondiaux ou régionaux sont un moyen de faire connaître le film aux professionnels, de lui trouver un distributeur et de le faire connaître auprès d’un certain public de festivaliers. Ce n’est pas un hasard si pendant le festival de Cannes se déroule chaque année le marché du film depuis 1959. Il est devenu en moins de 50 ans la première plate-forme mondiale pour le commerce international des films. L’édition 2007 à réuni plus de 10.000 personnes venus de 91 pays du monde autour de 1.590 projections et 982 films dont plus des trois quarts d’avant-premières.

Les cérémonies de remises de prix (César, Oscar, etc.) permettent de donner un second souffle à certains films.

Au delà de cet aspect de production et distribution, il y a la distribution en DVD ou VHS des films qui intervient environ six mois après leur sortie en salle et qui permet de donner une deuxième vie aux films. On comprend bien l’enjeu de la guerre des nouveaux formats HD DVD et Blu-Ray et il semble que la bataille ait été gagnée par le Blu-Ray. Mais le DVD est de plus en plus concurrencé par la vidéo à la demande sur Internet et les sites de peer-to-peer.

Pour être complet ajoutons que l’équipement des salles de cinéma est un marché important également. La rénovation, le passage aux supports numériques qui ont commencés au début de la décennie se poursuivent et sont un marché très prometteur..

Aujourd’hui une entreprise comme Thomson qui couvre toute la chaîne cinématographique, de la création à la distribution, réalise un chiffre d’affaire de 5.428 millions d'euros (en 2005).

III) Enjeux politiques

Voyons maintenant les enjeux politiques du cinéma. Au-delà de l’aspect économique qui est important pour chaque pays, il y a également des intérêts politiques à la production cinématographique.

Premièrement le rayonnement culturel du pays producteur de film. Un pays qui produit beaucoup de films prouve que sa culture et son modèle culturel est à la fois actif et efficace. Il s’agit de tendre vers la plus haute forme de domination politique qui est la domination culturelle. Le seul pays qui est pu approcher se type de domination est les Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale.

Deuxièmement, au delà de l’aspect strictement culturel. La production de films permet d’exposer des idées politiques. Les films engagés, les films de propagande sont devenus courants. Comme tout média, le film permet d’exposer son point de vue et de le diffuser. L’intérêt du cinéma est qu’il peut être, aussi bien documentaire et raconter les faits que fiction inspirée du réel et donner une interprétation personnelle des faits. Le documentaire et les films politiques existent depuis que le cinéma existe mais deviennent de plus en plus une arme politique.

Troisièmement, de part les revenus et les sources de financement, les producteurs ou les majors peuvent influencer la vie culturelle du pays dans lequel elles décident d’investir ou de ne pas investir. On parle en France de sauvegarde de l’exception culturelle mais il s’agit, en fait, de lutter contre une forme de domination politique par les idées.

Conclusion

L’industrie du cinéma est mondiale mais il y a de fortes disparités mondiales dans la répartition géographique. On constate qu’il y a des pays producteurs et exportateurs et des pays très peu producteur et fortement importateurs. Au-delà de l’aspect social et culturel, le cinéma est également une industrie. C’est un secteur très florissant et qui malgré les dangers du P2P et de la vidéo à la demande survivra comme il a survécu à la démocratisation de la télévision dans les années 1960.

On constate que la domination du marché par les Etats-Unis à la fin des années 1940 a été mise à mal par la production indienne et asiatique en général. Néanmoins, les américains gardent une place importante dans l’industrie mondiale.

La tendance à venir est l’émergence et la croissance des industries du cinéma dans les pays du « Sud ». Elles ne mettront probablement pas en danger les industries mondiales dominantes mais elles seront l’expression des différences culturelles mais également des outils de propagande nationaliste ou extrémistes.

Le cinéma reste pour beaucoup, spectateurs, producteurs, réalisateurs, qu’un divertissement et c’est ce qui en fait sa magie.

Glossaire :

HD-DVD et Blu-Ray : Il s’agit des deux supports de données qui ont pour objectif de supplanter le DVD comme moyen de sauvegarde et de diffusion des données en haute définition. Ils sont prévus pour avoir une capacité cinq fois supérieure à celle des DVD actuels.

Peer-to-peer ou P2P : il s’agit d’un protocole informatique qui permet l’échange de données entre deux ou plusieurs ordinateurs. Les réseaux de P2P sont aujourd’hui utilisés pour échanger illégalement de la musique, des films ou des vidéos via l’Internet.

Selon les estimations de l'industrie cinématographique américaine, entre 500.000 et 600.000 copies de films seraient téléchargées chaque jour sur les réseaux peer-to-peer. Un flux illégal qui représente des centaines de millions de dollars de manque à gagner pour ladite industrie (estimation pour 2003).

Sources :

Enquête sur les cinémas nationaux, UNESCO, Secteur de la culture, Division de la créativité, des industries culturelles et du droit d’auteur, mars 2000.

http://www.unesco.org/culture/industries/cinema/html_fr/product.shtml

Du local au mondial : les industries culturelles, Débat présenté et animé par Allen J. Scott, cafés géographiques, 13 avril 2005.

http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=631

AD pour GlobalAnalysis France

lundi 5 mai 2008

La guerre de quatrième génération

En 1989, juste avant la chute du mur de Berlin, le Corps des Marines des Etats-Unis d’Amérique, conscient que le mode de guerre avait changé, commanda à des experts un rapport sur la nouvelle génération de guerre. Les conclusions de ce groupe ont été rassemblées dans un article publié dans le Marine Corps Gazette en 1989, aujourd’hui ces théories sont toujours d’actualité peut-être même plus que jamais puisque des exemplaires de cet article ont été retrouvés à Tora Bora en Afghanistan, le sanctuaire pour un temps d’Al Qaïda.

I) Historique :

Alors que la guerre froide touchait à sa fin, les Etats-Unis se sentant victorieux commençaient déjà à tirer les conséquences de cette nouvelle guerre.

En effet, à coté de la course aux armements la guerre froide a été également le début des conflits délocalisés qui se sont par la suite mondialisés.

Les auteurs rassemblés, venants de l’armée de Terre Américaine, du corps des Marines ainsi qu’un expert en stratégie, ont développé la théorie des générations de guerre.

La première est celle des lignes et des colonnes. L’arme principale étant le mousquet, pour concentrer la puissance de feu les soldats devaient s’ordonner et suivre attentivement les ordres.

La deuxième, développée par l’armée française pendant la première guerre mondiale se résume à la phrase suivante : l’artillerie conquiert et l’infanterie occupe. Cette stratégie se retrouve encore de nos jours lorsque l’on voit des bombardements d’aviation intenses précédant le déploiement des fantassins sur le champ de bataille.

La troisième a été inventée par l’armée allemande pour la seconde guerre mondiale. Les allemands l’appellent le Blitzkrieg. Le principe n’est plus la puissance de feu mais la vitesse, la surprise et la désorganisation, tant mentale que physique de l’ennemi. Il s’agit du premier type de conflit non-linéaire. L’initiative personnelle prévaut sur le respect des ordres.

II) Une quatrième génération :

La première remarque faite sur les conflits modernes est que ceux-ci n’opposent plus des Etats mais des idéologies. Le but n’est plus d’occuper un territoire ni de défaire une armée mais de faire en sorte que l’idéologie triomphe. Les cibles ne sont plus les armées mais les civils, les institutions, les usines, les centres culturels et ainsi de suite. La distinction entre militaire et civil n’a plus lieu d’être, la société et ses valeurs sont la cible.

Les auteurs ont proposé deux modèles d’évolution des conflits, l’une basée sur la technologie et l’autre qui serait sur le terrain des idéaux.

La technologie permettra d’attaquer les cibles plus diverses avec un éventail plus large d’armes. Jusqu’à présent les armes étaient de plus en plus meurtrières mais aujourd’hui la bataille ne se gagne pas forcément en tuant le plus de personnes. Ainsi, les bombes électroniques comme les impulsions électromagnétiques qui permettraient d’anéantir technologiquement une région ou une nation s’ajoutent aux armes classiques. On pourrait voir l’émergence d’une guerre informatique. Egalement, l’apparition d’engins sans pilotes permet d’envisager une guerre ou personne ne serait tué mais la défaite viendrait de l’impossibilité industrielle de riposter.

Des éléments isolés composés de soldats assistés d’une technologie guerrière de pointe seraient bien plus dangereux qu’une colonne de chars ou même qu’une attaque nucléaire. En effet, des soldats infiltrés derrières les lignes auraient vite fait de rendre inutiles de telles installations.

La doctrine est celle de la désagrégation de l’ennemi de l’intérieur, ce qui amène la deuxième possibilité.

Si la technologie est le premier moteur de la guerre future, les idéologies sont au moins aussi importantes. On voit aujourd’hui le terrorisme international se baser sur le conflit idéologique.

En effet, les terroristes utilisent les libertés qui sont données par les sociétés occidentales pour les détruire de l’intérieur. La libre circulation des personnes, des capitaux et des informations sont un outil puissant pour le terrorisme. Ils sont défendus par les droits qui nous protègent de la guerre civile. En fait, le terrorisme amène à une ambiguïté de politique. Si nous n’agissons pas, ils continueront sans être inquiétés, si nous appliquons les même règles qu’eux nous abandonnons se pourquoi nous nous battions à l’origine.

Pour les auteurs, la quatrième génération de conflits est donc quelque part entre l’utilisation massive de la technologie et la bataille idéologique.

Il s’agit d’un conflit avec une entité non-nationale ou transnationale basée sur une idéologie forte comme une religion ou une idéologie politique partagée qui pourrait se procurer une technologie qui permettrait d’attaquer culturellement une autre entité du même genre.

III) Implications :

Si l’on tient compte de ce qui vient d’être dit, on pourrait être tenté de penser que la guerre que nous vivons aujourd’hui est l’incarnation de cette doctrine. Analysons donc un peu plus en détail cette idée.

Nous voyons aujourd’hui des groupes non-étatiques se battre contre des Etats. Les FARC en Colombie, le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban et bien sûr Al Qaïda en Irak, au Pakistan et en Afghanistan. Presque partout l’Etat peine à prendre l’avantage.

Les problèmes ne se situent pas sur la puissance de tel ou tel état mais sur la manière de l’utiliser.

Le meilleur exemple de ça est peut être la situation en Irak où cinq ans après la libération, les Américains n’ont pas réussi à reconstruire politiquement le pays qui est maintenant à feu et à sang. Les Américains ont commencés par bombarder le pays puis l’ont occupé en se préoccupant uniquement de la sécurité et non pas de l’aspect psychologique de leur arrivée. Aujourd’hui, ils sont faces à des groupes religieux qui sont insaisissables et qui poussent les Américains à s’en prendre aux populations civiles. Les Américains n’ont pas cherché à se fondre dans la population.

Hors de cet exemple, on voit bien dans la vie de tous les jours comment des groupes réduits peuvent s’en prendre à un état puissant, le 11 septembre 2001 est peut être l’exemple le plus flagrant mais également l’assassinat de Rafik Hariri montre que personne n’est vraiment à l’abri.

Les FARC, le Hamas également ont de beaux jours devant eux puisque personne ne prend vraiment le temps de les combattre sur leur terrain de prédilection, la guerre des cœurs et des esprits. Les pays occidentaux ne gagneront que s’ils décident que toute la population doit participer à ce combat qui les concerne tout autant que les militaires. Les populations de ces Etats aussi bien que la population du pays où un groupe combattant notre vision des choses est installée.

IV) Vers une nouvelle organisation :

Que devons nous retenir de tout ceci ?

Premièrement que nos armées ne sont plus réellement conçues pour ce genre de conflits. Les Armées devraient peut-être se décomposer en deux entités complémentaires, d’une part des troupes d’opérations spéciales qui se chargeront des quelques éléments armés et d’un groupe plus nombreux de soldats qui saurons que la bataille se gagne en conquérant la bienveillance de la population locale à son égard. Cela implique une armée à deux vitesses et une armée plus tournée vers l’humanitaire et le soutient qu’une armée guerrière.

Deuxièmement, les politiques doivent toujours prévoir l’après conflit avant même que celui-ci n’aie commencé. On demandera de plus en plus aux politiques d’anticiper les problèmes que de les résoudre que ce soit à l’étranger ou sur leur propre territoire, il ne faut pas oublier que le terrorisme se base sur les libertés que nous lui donnons d’exister.

Troisièmement, l’industrie militaire doit s’adapter aux nouvelles exigences des conflits. La production en masse de chars, de bombardiers, de navires démesurés n’est plus justifiée et justifiable. Bien sûr les sous-marins, les porte-avions auront toujours leur place mais leur fonction doit évoluer.

Ils doivent devenir des outils de projection de puissance ponctuelle et des navires de soutient aux populations, comme se fut le cas de la Jeanne d’Arc lors du Tsunami en Asie en 2004.

Sources :

- The Changing Face of War: Into the Fourth Generation, William S. Lind, Colonel Keith Nightengale (US Army), Captain John F. Schmitt (US Marine Corps), Colonel Joseph W. Sutton (US Army) and Lieutenant Colonel Gary I. Wilson (US Marine Corps), Marine Corps Gazette, Octobre 1989.

- Understanding Fourth Generation War, William S. Lind, January 15, 2004.

- La Guerre de Quatrième Génération ou 4GW, Jean-Paul Baquiast.

Par AD pour GlobalAnalysis France

samedi 3 mai 2008

Chine-Tibet : le vrai du faux

L’interprétation des faits historiques par les deux peuples, Chinois et Tibétains, est radicalement différente, ce qui montre la complexité des relations qui secouent aujourd’hui cette région du monde. Par souci d’objectivité, on s’attachera donc à donner un panorama complet des notions en jeu.

Dans la réalité administrative, le Tibet est aujourd’hui la région dite autonome du Tibet (appelé « Xizang » en Chine). Elle est l’une des cinq régions autonomes de la République populaire de Chine, située au Sud Ouest, dont la capitale est Lhassa. On peut noter que les frontières de cette région correspondent à peu près au Tibet qui était indépendant entre les deux guerres mondiales et qui fut administré par le gouvernement tibétain de 1918 à 1959.

Cependant lorsque la République populaire de Chine emploie le terme Tibet, elle fait non seulement référence à la région autonome du Tibet, mais y inclut aussi la plus grande partie de l’Etat indien de l’Arunachal Pradesh dont elle revendique la possession.


Enfin, pour le gouvernement tibétain en exil, le Tibet couvrirait bien plus que la région autonome actuelle. Il serait pour eux la réunion des trois provinces traditionnelles du Tibet que sont l’Amdo, le Kham et l’Ü-Tsang. Le Tibet traditionnel ainsi reconstitué couvrirait donc aussi une partie des régions chinoises que sont la région du Qinghai, du Gansu, du Sichuan et du Yunnan.

I) Histoire : une interpénétration des peuples

L’origine même du peuple tibétain est révélée dans plusieurs mythes. L’un d’eux voudrait que les Tibétains descendent d’un singe et d’une démone des roches qui serait l’émanation respectivement du protecteur et de la libératrice du Tibet.

L’histoire des hommes commence vraiment avec la naissance de l’écriture tibétaine au VIIème siècle. Les premiers écrits montrent que l’empire du Tibet est alors puissant, et le souverain de cette époque, Songtsen Gampo, n’hésite pas à envoyer deux ambassades en Chine en 608 et 609, marquant ainsi les premières relations internationales du Tibet, et surtout le premier contact entre le royaume tibétain et l’empire chinois. Mieux en 641, l’empereur Taizong se voit contraint de donner en mariage une princesse chinoise au souverain tibétain, dont les troupes assiègent sa capitale. C’est aussi à cette époque que le bouddhisme s’implante au Tibet.

Entre le VIIème et le IXème siècle, la puissance du royaume tibétain ne se dément pas et il est de loin le plus redouté sur le continent. L’apogée de l’empire tibétain se situe au IXème siècle avec le souverain Ralpachen.

Au jeu de la vérité historique, les chinois perdraient donc beaucoup puisqu’au VIIème siècle, c’est la Chine qui pliait sous la puissance tibétaine.

Au XIIIème siècle, les guerres internes qui rongent le royaume facilitent l’invasion des Mongols entamée par Gengis Kahn d’abord, puis par son petit-fils Godan en 1240. Mais les tibétains font bien plus que résister à l’invasion, puisqu’ils vont influencer l’envahisseur de par leur identité déjà très forte et l’enracinement du bouddhisme au Tibet. En effet, c’est à cette époque et par l’intermédiaire d’un conseiller spirituel tibétain de l’empereur Godan, que les Mongols renoncent aux méthodes expéditives qu’ils avaient pour coutume d’employer à l’égard des prisonniers.

L’emprise des Mongols sur le Tibet se desserre dès le XIVème siècle. Le Tibet se constitue alors en une théocratie féodale dans laquelle les lignées religieuses sont contrôlées, soutenues ou bien s’allient à des clans et seigneuries plus ou moins puissants. Ce sont parfois des soutiens étrangers qui viennent de Mongolie, d’Inde ou même de Chine. C’est l’école Guélougpa qui prédomine alors et avec elle s’impose deux de ses lignés religieuses les plus connues : le panchen-lama et le dalaï-lama. Ces deux lignées de réincarnations vont réunir jusqu’à aujourd’hui les pouvoirs temporels et religieux au Tibet. Et ce sont les dalaï-lamas successifs qui seront en charge du gouvernement du Tibet jusqu’en 1959.

Le panchen-lama est une lignée de réincarnation importante dans l’histoire du Tibet. C’est le deuxième plus haut chef spirituel du bouddhisme tibétain Guélougpa. Il se situe juste après le dalaï-lama dans ce système hiérarchique. « Panchen » se traduit par « grand érudit » et « Lama » signifie « maître spirituel ». Le panchen-lama est considéré comme une émanation du Bouddha Amitabha, « de lumière infinie ».

Les dalaï-lamas sont considérés comme des émanations du bodhisattva de la compassion. Les bodhisattva sont des êtres éclairés qui ont choisi de renaître pour le bien être de tous les êtres. « Dalaï » signifie « océan » en mongol. On peut noter que la lignée des dalaï-lamas doit sa puissance au soutient des mongols. En 1578, suite à l’invitation du dalaï-lama en Mongolie, un édit promulgue le bouddhisme comme religion officielle de la Mongolie. Mieux la 4ème réincarnation du dalaï-lama est reconnue en Mongolie et est amenée au Tibet qu’à l’âge de douze ans.

Le 6ème dalaï-lama menant une vie dépravée, il s’en suit une suite de changements politiques au Tibet qui aboutit à une première intervention militaire chinoise en 1720 pour rétablir l’ordre. Ce sont les troupes chinoises qui mettent en place le 7ème dalaï-lama.

La Chine exerce dès lors sur le Tibet un pouvoir proche du protectorat sans toutefois l’incorporer à son empire.

Le XIXème siècle marque l’invasion des puissances occidentales et l’affaiblissement de la Chine. Le protectorat est alors totalement virtuel et les Tibétains ne respectent jamais les injonctions des ambassadeurs chinois. C’est la Grande-Bretagne qui va marquer son intérêt pour le Tibet qui voit dans ce territoire un moyen de barrer les prétentions coloniales des russes. Les britanniques vont d’abord signer des traités avec les chinois qui ne seront jamais respectés par les tibétains.

Comprenant que la souveraineté chinoise sur le Tibet n’est que nominale, les britanniques vont alors traiter directement avec Lhassa, reconnaissant implicitement l’indépendance du Tibet.

Les traités signés par les britanniques visent avant tout à s’assurer l’exclusivité des routes commerciales. En 1911, après la chute de l’empire mandchou en Chine et la proclamation de la république, le XIIIème dalaï-lama demande l’indépendance de son pays. En 1913, la convention qui se tient à Simla en Inde et qui réunit les représentants de la Grande-Bretagne, de la Chine et du Tibet, définit les limites géographiques du Tibet et reconnaît la région comme autonome et sous administration du gouvernement du dalaï-lama, bien que restant sous suzeraineté chinoise.

La situation du Tibet se dégrade définitivement au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le dernier dalaï-lama a suivi une enfance studieuse qui ne le prépare guère aux ambitions expansionnistes des puissances du XXème siècle, et en particulier celles de la Chine.

Mao Zedong, soutenu par Moscou, envahit le Tibet en 1950. Après des mouvements sporadiques à l’occupation chinoise, le soulèvement de Lhassa, en 1959, est réprimé dans le sang. Le dalaï-lama et les membres de son gouvernement partent alors en exil en Inde, exil qui dure encore. La création de la région dite « autonome » au Tibet consacre en réalité le démembrement territorial du Tibet. La révolution culturelle de 1966-1967 vise à effacer toute trace du passé au Tibet. L’héritage culturel du Tibet est saccagé. De plus, le transfert des populations chinoises au Tibet concoure à mettre en minorité les tibétains et leur culture (on peut noter malgré tout que 1986 marque le retour officiel de la pratique religieuse au Tibet). L’obtention du prix Nobel de la paix en 1989 par le dalaï-lama ne change guère les choses.

Pourtant le dalaï-lama ne demande pas l’indépendance mais la fin du « génocide culturel » au Tibet et la possibilité pour les Tibétains de mener, à l’échelle locale, leurs propres affaires.

II) La répression chinoise

On peut rappeler que le gouvernement tibétain en exil estime à 1,2 million de morts tibétains le bilan de la répression maoïste entre 1949 et 1979, répression marquée par le massacre de la révolte tibétaine de 1959 et la révolution culturelle de 1966-1967.

Aujourd’hui, le dalaï-lama est encore présenté dans les médias officiels comme un dangereux « sécessionniste » qui mettrait en péril l’ «unité de la patrie » chinoise. Le représentant du Parti Communiste au Tibet ose même le décrire comme « un esprit cruel avec un visage d’homme et le cœur d’une bête ».

Dans les écoles et les universités, la langue d’enseignement est le mandarin, ce qui participe à l’effacement de la culture tibétaine. Quant aux temples, ils sont conservés surtout pour faire office d’attractions touristiques.

La Chine impose de plus au Tibet la loi du marché. Les centres urbains sont transformés en chantiers géants pour faire place aux tours. La construction de la ligne de chemin de fer la plus élevée du monde a de plus facilité des vagues d’immigrations chinoises au Tibet. Les tibétains seraient désormais minoritaires à Lhassa et la plupart des affaires seraient dirigées par des chinois.

Enfin, toute manifestation pour l’indépendance du Tibet est condamnable à plusieurs années de prison en Chine, et plusieurs témoignages rappellent qu’on use encore aujourd’hui de la torture dans les geôles chinoises.

III) La force de l’identité tibétaine

On l’a vu, l’histoire du Tibet est marquée par les influences successives de plusieurs grandes puissances et surtout la répression chinoise depuis cinquante ans. Malgré tout cela, le Tibet reste aux yeux du monde un pays dont l’identité culturelle est très forte. Qu’est ce qui a fait la force de l’identité tibétaine ?

La situation géographique du Tibet a participé à créer une identité spécifique à cette région et surtout à la préserver longtemps de réelles invasions militaires. En effet le Tibet, ce sont d’abord les montagnes les plus hautes de la planète et des conditions climatographiques très rudes. Ces défenses naturelles ont donc permis longtemps à la région de conserver une relative indépendance en jouant sur les appétits voisins des uns et des autres. Ce relatif isolement a permis aussi le développement du bouddhisme, qui a fait par la suite du Tibet une théocratie féodale. L’identité tibétaine réside donc aussi dans ce système politique : le Tibet étant dirigé par un « maître spirituel », politique et culture sont intimement liés, et le leader détient à la fois les clés politiques, religieuses et philosophiques.

Cet éloignement et cette spécificité ont aussi participé à rendre la région mythique aux yeux du monde, et de fait à donner aux tibétains une très grande fierté. Les occidentaux y voient la part du rêve. Le bouddhisme participe à ce rêve car les occidentaux y voient plus qu’une religion : ils y voient une philosophie de vie qui prône la quiétude et le bonheur, loin des soucis de la vie effrénée des sociétés modernes. C’est cette admiration des peuples du monde pour le Tibet qui quelque part, renforce la solidarité de la diaspora tibétaine en exil et donc son identité, malgré la répression chinoise.

IV) Le mythe occidental

On l’a dit, le Tibet relève pour beaucoup d’occidentaux du mythe. Beaucoup y voient là un combat pour les droits de l’homme, la liberté, des valeurs qui en quelque sorte rejoignent la vision qu’ils en ont du bouddhisme. Aussi la mobilisation est très forte pour les tibétains et pour l’indépendance. Pourtant si la répression chinoise est réelle, il ne faut pas sanctifier le Tibet.

On rappellera qu’avant l’invasion chinoise, le Tibet n’était pas une démocratie mais une théocratie féodale. Religion et pouvoir politique ne faisait qu’un. L’accès à l’enseignement se faisait la plupart du temps via les monastères. Enfin on pratiquait le servage. Les serfs représentait 90% de la population et était dominés par la classe religieuse et aristocratique.

Le vrai combat ce n’est pas donc celui de l’indépendance du Tibet, que ne prône même pas le dalaï-lama, mais c’est la préservation d’une culture inestimable, patrimoine de l’humanité, et aussi plus généralement un combat pour les libertés en Chine.

Sources :
- Marc Epstein, « Le combat du Tibet », L’Express, numéro 2964, 23/04/2008.
- Wikipédia, l’encyclopédie libre.
- Le Tibet en exil : à l'école de la démocratie, Groupe d'information sur le Tibet du Sénat, consultable à l’url http://www.senat.fr/ga/ga67/ga671.html

Par JS pour GlobalAnalysis France