mercredi 23 décembre 2009

Crise de 1970, crise de 2008 et Union Européenne, quels leçons en tirer

La crise économique que traverse actuellement l’Europe n’est pas la première. En particulier la CEE a du faire face à une première crise économique dans les années 1970 (effondrement de Bretton Woods et chocs pétroliers). Cette crise se traduit par un ralentissement de la croissance économique. Alors que durant les Trente Glorieuses, le PIB progressait en moyenne de 5% par an dans les pays de l'OCDE, le taux de croissance devient nul par deux fois, en 1975 et 1982. La récession touche en particulier des branches traditionnelles comme la sidérurgie mais aussi et déjà le secteur de l’automobile. La crise économique des années 1970 se caractérise aussi par une forte inflation et des désordres monétaires qui entretiennent ces tendances inflationnistes. Enfin, elle provoque la fin du plein emploi, avec un chômage qui passe de 3,5% de la population active des pays de l'OCDE en 1973 à 10% en 1982. On peut donc se demander comment la CEE a réagi à cette crise et s’il y a des enseignements à en tirer pour la situation actuelle ? Pour cela, dans une première partie, j’ai voulu comparer la situation de la CEE dans la crise des années 1970 à celle de l’Union européenne dans la crise actuelle pour en montrer certaines similarités ; et dans une deuxième partie analyser les actions de la CEE face à cette crise pour en tirer effectivement des enseignements.

I La crise des années 1970 : des similarités avec la crise de 2008-2009
1) Les causes et conséquences de la crise des années 1970
a) L’origine américaine : effondrement du système de Bretton Wood

La crise des années 1970 a en commun avec celle d’aujourd’hui d’être en partie due à une crise qui a pour origine les États-Unis, comme pour la crise des subprimes en 2008.

En effet, au début des années 1970, la tendance est à l’inflation et les États-Unis connaissent leur premier déficit commercial. Cela alimente la spéculation contre le dollar. En 1971, le stock d’or des États-Unis est tombé à 10 milliards de dollars. Par conséquent, ceux-ci ne sont plus en mesure d’assurer la convertibilité en or comme prévue dans le système monétaire international de Bretton Woods (1944), parce que des quantités considérables de dollars qui se sont répandues de par le monde. Ainsi, le 15 août 1971, Nixon met fin à la convertibilité du dollar. Par ailleurs, Le dollar est ensuite dévalué en 1971 et 1973, ce qui entraîne le dérèglement du système monétaire international.

L’effondrement du système de Bretton Woods, qui se traduit par l’abandon de l’or au profit du dollar, multiplie alors les possibilités de financement. Les gouvernements européens vont donc appliquer des politiques de sauvegarde du plein-emploi en stimulant l’économie par l’inflation, ce qui se traduit par une augmentation progressive des prix et l’affaiblissement des monnaies. A partir de 1972, l’inflation dépasse 10% dans la plupart des pays du nord industrialisés.


b) Une crise de l’énergie : les chocs pétroliers de 1973 et 1979

La crise des années 70 est aussi une crise de l’énergie qu’on peut mettre en parallèle avec les prix record que les barils de pétrole avaient atteints en 2008, ou encore récemment en Europe avec la crise du gaz russe.
Le premier choc pétrolier a lieu en 1973. Prenant prétexte de la guerre du Kippour, les pays membres de l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) décident de mesures de rétorsion à l’égard des pays qui ont soutenu Israël. Ils multiplient par quatre le prix du baril de pétrole qui passe en un an de 3 à 12$. Cette augmentation est suivie d’une hausse des cours de toutes les matières premières. A partir de 1974 commence une période de récession mettant fin à la prospérité des 30 glorieuses. Le deuxième choc pétrolier a lieu en 1979. A la faveur de la révolution islamique en Iran, qui crée une situation de pénurie par l’arrêt des exportations iraniennes, les pays de l’OPEP décident de doubler le prix du baril, celui-ci atteignant alors 40$. Cette crise entraîne une nouvelle récession, amplifiée par la hausse du dollar.

Ces chocs pétroliers ont pour conséquence de déséquilibrer les balances commerciales des pays importateurs qui deviennent déficitaires. Les capitaux ne vont alors plus aux investissements mais au règlement de la facture pétrolière. De plus, ces augmentations sont répercutées sur les coûts de production, ce qui alimente les tendances inflationnistes.

c) La surproduction

Enfin, comme maintenant où la crise est aussi liée à de nouvelles réalités économiques environnementales, la crise des années 1970 n’est pas que conjoncturelle, elle est liée à des problèmes structurels et l’inadaptation du système productif de l’époque.
D’une part, les ménages des pays occidentaux ralentissent leur consommation parce qu’ils sont déjà équipés, cette tendance touche l’automobile ou l’électroménager. Les marchés sont donc saturés, ce qui conduit à une baisse des ventes.
Par ailleurs, l’augmentation des salaires au cours des Trente Glorieuses a entrainé une baisse des profits et des investissements productifs, ce qui entretient l’inflation car les entreprises sont tentées de répercuter la hausse des charges sociales sur les prix ou de s’endetter pour espérer continuer à investir.
Enfin, la crise correspond à l’essoufflement du système technique, la fin d’une énergie bon marché (un peu comme aujourd’hui avec la contrainte environnementale).

2) La CEE
a) Une vie communautaire paralysée

A la fin des années 70, la vie communautaire est semi-paralysée notamment par les positions radicales adoptées par le général de Gaulle à l’encontre de certains dossiers européens. En particulier, le général de Gaulle veut réévaluer le rôle de la France dans la communauté et met son véto à l’élargissement de l’Union européenne à la Grande Bretagne.
Il me semble qu’on peut rapprocher dans une certaine mesure cette paralysie avec l’Union européenne d’aujourd’hui paralysée par les rejets du traité constitutionnel puis du traité de Lisbonne.

b) L’adhésion récente de nouveaux pays

Malgré tout, avec l’arrivée de Georges Pompidou au pouvoir, la France ne s’oppose plus par principe à l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE. Ainsi les négociations d’adhésion avec la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Danemark et la Norvège s’ouvrent en 1970. Malgré les difficultés posées par l’adhésion de la Grande-Bretagne, relatif à la façon dont elle s’approvisionne en produits agricoles, le traité d’adhésion est signé dès le 22 janvier 1972 et ratifié par les pays candidats le 1er janvier 1973 excepté par la Norvège qui le rejette à 54% par référendum.
Avant les premiers chocs pétroliers, la CEE avait donc subit un premier élargissement historique que l’on peut comparer avec l’élargissement récent de l’Union européenne, lui-même historique, aux pays de l’Est juste avant la crise financière, si l’on peut comparer du moins des pays comme la Grande Bretagne aux pays de l’Est.

II Les mesures prises par la CEE : des effets relatifs mais un renforcement des politiques communautaires
1) La relance de la coopération politique
a) Sommet de La Haye 1969

A peine arrivée au pouvoir en 1969, Georges Pompidou, élu sur la base d'un programme pro-européen, souhaite sortir la vie communautaire de la semi-paralysie dans laquelle elle se trouve. En juillet 1969, il lance l’idée d’un sommet européen fondé sur le triptyque « achèvement, approfondissement, élargissement ». Les Pays-Bas, qui président la CEE à ce moment, s’emparent de la proposition de Pompidou et convoquent une réunion des chefs d'État ou de gouvernement à La Haye les 1er et 2 décembre 1969.
A l'issue de la réunion, les leaders européens marquent leur accord pour l’élargissement aux quatre pays candidats (Danemark, Grande-Bretagne, Irlande et Norvège) à l'adhésion.
Ils prennent aussi des mesures dites « d’achèvement » concernant les ressources propres de la communauté alors que le traité de Rome prévoyait de couvrir les dépenses communautaires par les contributions des États.
Enfin, l’approfondissement de la Communauté européenne proposé par Pompidou se traduit le 6 mars 1970 par la mise sur pied d’un groupe de travail, présidé par le diplomate belge Étienne Davignon, qui a pour mission d’élaborer des propositions d’approfondissement de la Communauté en matière de coopération politique.
L’approfondissement concerne aussi les premières propositions pour une politique monétaire commune, que je vais développer dans une autre partie. En effet, la diversité des politiques nationales au niveau économique et monétaire engendre des situations inquiétantes dans la Communauté.

b) Le conseil et la Commission incitent à des mesures coordonnées des Etats membres face à la crise

Dès juillet 1970, la Commission publie un mémorandum qui vise la lutte contre l’inflation. Dans ce mémorandum, la Commission pointe une tendance à la détérioration des balances commerciales des pays membres et prévoit une baisse de l’accroissement du commerce mondial pour l’année 1970. Le mémorandum incite donc les États membres à suivre des politiques coordonnées qui vise à modérer la conjoncture : « il demeure indispensable que, dans tous les pays membres, les actions tendant à rétablir progressivement les équilibres fondamentaux de l’économie continuent à être menés avec ténacité, de sorte que la Communauté n’ait pas- à plus ou moins court terme- à retrouver la stabilité au prix d’un retournement de la conjoncture, qui affecterait le niveau de l’emploi. » La commission indique quatre instruments à utiliser : la politique du crédit, la politique budgétaire, le recours de modalités de rémunérations des salariés comportant intéressement de ceux-ci aux résultats de l’entreprise, des mesures portant sur la concurrence et la fin du monopole (paradoxalement on prend des mesures contraires aujourd’hui).
Par ailleurs, le Conseil adopte une directive le 24 juillet 1973 destinée à atténuer les difficultés d’approvisionnement en pétrole brut. Et en 1974, la Commission préconise une réorganisation du marché des produits énergétiques : « Parallèlement, la consommation d’électricité devrait être encouragée, de manière à porter à 35 % la part de cette forme d’énergie dans la consommation finale, contre 25 % actuellement. Ainsi se créerait un marché aussi large que possible pour l’énergie nucléaire. » On encourage donc le nucléaire pour pallier à la crise pétrolière.

c) La réforme des institutions
On l’a vu, la crise entraîne le développement progressif de politiques communes, qui amène les responsables européens à s’interroger sur la nécessité de réformer les institutions communautaires, au-delà des contraintes économiques ou politiques, et d’en améliorer le fonctionnement. En juin 1975, la Commission européenne remet à cet effet un rapport aux Neuf sur l'Union européenne dans lequel elle suggère diverses pistes pour renforcer les institutions communautaires et pour rendre leur fonctionnement plus transparent.
La principale nouveauté est l’élection au suffrage universel du Parlement Européen. En 1974, le président français Giscard d'Estaing accepte l'idée de l'élection directe du Parlement qu'il lie toutefois à la création du Conseil européen censé créer un véritable gouvernement européen. Aux sommets de Bruxelles des 12 et 13 juillet et du 20 septembre 1976, une série de décisions sont prises pour finaliser l'élection au suffrage universel. Cependant, le Parlement européen, même élu au suffrage universel, n'a toujours pas de compétence législative, contrairement à un parlement national.

3) La création d’une coopération économique
a) échec des relances unilatérales

La crise des années 1970 se caractérise d’abord par de graves trouble monétaires qui frappent les six États membres à la fin des années 1960 et en début des années 1970. Toutes les devises européennes sont concernées. Contrairement aux diverses déclarations d'intention des responsables politiques des Six, ces changements de parité sont décidés unilatéralement et sans aucune consultation préalable. Ainsi, Pompidou décide, le 8 août 1969, de dévaluer le franc de 12,5 %, tandis que le 24 octobre 1969, après une brève période de flottement, le mark allemand est réévalué de 9,29 %. Il en résulte donc une dévaluation du FF par rapport au DM de plus de 20 %. Les conséquences économiques de ces opérations monétaires sont désastreuses et menacent directement la politique communautaire.
Par ailleurs, dans la plupart des pays européens, les premières mesures pour lutter contre la crise sont nationales et d'inspiration keynésienne. Elles se donnent pour priorité la lutte contre le chômage. C'est l'État qui prend en charge les dépenses nécessaires pour soutenir l'investissement dans le but de relancer la consommation. Ainsi, une série de plans nationaux ont lieu dans les six Etats membres. De telles politiques furent appliquées en France lorsque Jacques Chirac arrivait pour la première fois à Matignon (1975-1976). Mais on peut citer l’expérience la plus significative de Pierre Mauroy qui a mené en 1981 une politique de relance de la consommation (notamment par une augmentation des salaires). Toutes ces politiques ont donné des résultats médiocres. En particulier, la Belgique ou le Royaume-Uni, pays de vieille tradition industrielle, ont éprouvé de très grandes difficultés.

b) Première tentative de coopération monétaire : le serpent

Le ministre allemand de l'Économie et des Finances, Karl Schiller, prône une politique de stabilité rigoureuse pour sortir de la crise. La France, hésitante dans un premier temps, finit par rejoindre son partenaire allemand dans son désir de stabilité monétaire. Avec le soutient du couple franco-allemand, la CEE met en place le Serpent monétaire européen le 24 avril 1972 qui autorise la fluctuation monétaire à seulement 2,25 %, ce qui correspond à la moitié des marges autorisées (4,5%) dans le nouveau système international, appelé « tunnel international ».
Malgré tout le serpent monétaire européen essuie un relatif échec puisque la solidarité européenne ne jouera que partiellement et les monnaies vont continuer de fluctuer.

c) le relatif succès du SME

Après l'échec du "serpent monétaire", le président de la Commission, Roy Jenkins, fait le 27 octobre 1977 à Florence une proposition qui va dans le sens d'une union monétaire. Il la présente comme le plus sûr moyen de relancer la croissance économique et de lutter contre l'inflation et le chômage. Mais l'initiative d’un nouveau système monétaire européen (SME) revient au couple franco-allemand. La France, touchée par une forte inflation, compte sur l'aide de l'Allemagne pour lancer une coopération monétaire destinée à stabiliser les monnaies. Cependant, les Allemands sont en effet peu enthousiasmés par l'idée de mettre en jeu leur monnaie forte et leur stabilité économique pour secourir des partenaires européens moins vertueux. En 1978, Helmut Schmidt finit par accepter ce principe que lui propose avec insistance Valéry Giscard d'Estaing. Dans un contexte économique globalement favorable, le Conseil européen de Brême adopte le 7 juillet 1978 le principe du SME qui voit le jour le 13 mars 1979. La Grande-Bretagne n'y adhère pas.
Le SME est un serpent amélioré, la principale nouveauté par rapport au serpent européen étant la création de l’ECU (European currency unit). L'Ecu est une monnaie fictive dont le cours représente une moyenne de la valeur des monnaies européennes. Avec ce système, les États sont obligés d'adopter des mesures économiques et budgétaires permettant de limiter les fluctuations. Et des mécanismes de crédit sont mis en place pour donner les moyens aux banques centrales d'exécuter cette politique d'intervention, comme le Fonds européen de coopération monétaire (FECOM).
Dans l'ensemble, le Système monétaire européen (SME) a bien fonctionné, en dépit de l'abstention britannique. Il a encouragé la discipline collective et assuré en tout cas une plus grande stabilité monétaire. Ainsi, les fluctuations importantes ont peu à peu fait place à des ajustements périodiques et limités lors de tensions ponctuelles sur le marché des changes. Cette stabilité est cependant loin d'être parfaite :
- Aussi, dès septembre 1979, des changements de parités interviennent : réévaluation du mark allemand (DM) de 2 %, dévaluation du franc français (FF) de 3 % et de la couronne danoise (DKK) de 2,9 %. Le SME n'est donc plus une zone de parités fixes mais une zone de parités ajustables.
- Par ailleurs l'Italie bénéficie d’un traitement de faveur, c'est-à-dire une marge de fluctuation de 6 % au lieu des 2,25 % imposés aux autres membres du SME

Conclusion crise de 1970 et perspectives 2010
Dans les années 1970, la CEE ne dispose pas d’autant d’instruments que l’Union européenne pour faire face à la crise. Cependant, la crise relance la vie communautaire. Ainsi, la CEE met en place un certain nombre de politiques pour faire face aux difficultés économiques, difficultés que les États membres sont incapables de résoudre avec les mesures qu’ils prennent unilatéralement sur le plan national.
Si les effets des mesures prises par la CEE restent relatifs, la crise de 1970 aura livré néanmoins quelques enseignements qui sont :
- L’échec des plans de relance nationaux décidés unilatéralement
- La nécessité d’une coopération politique au niveau communautaire
- Un certain succès des politiques monétaires et économiques européennes
Enfin, on pourrait dire que la crise de 1970 a eu au moins le mérite de relancer la construction européenne et la démocratisation des institutions à travers le renforcement des politiques communautaires et la réforme des institutions telle que le Parlement.
Pourquoi la crise financière et économique de 2008-2009 ne réanimerait-elle pas elle aussi l’Union européenne ?
D’abord, sous la présidence de Nicolas Sarkozy de 2008, l’Union européenne a tiré les enseignements de la crise de 1970 en lançant un plan européen de relance économique, permettant d’assurer une meilleure coordination des plans de relance nationaux et donc une réponse plus efficace à la crise. Ensuite, coïncidence ou non, le Traité de Lisbonne a été tout récemment ratifié grâce à la signature du dernier État membre manquant, la République Tchèque, relançant ainsi la construction européenne et créant pour la première fois un visage pour l’Union européenne avec les postes de président de l’Union européenne (le belge Herman Van Rompuy étant nommé à ce poste), et de haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en la personne de la britannique Catherine Ashton et qui est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Si le peu de charisme des personnalités nommés à ces postes de représentation en a déçu plus d’uns, il est encore temps pour eux de faire leur preuve…
Par JS

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