samedi 9 mai 2009

Introduction aux problématiques des Civilisations

L’idée du choc des civilisations a été formalisée par Samuel Huntington dans son article pour Foreign Affairs en 1993 dans l’article « The Clash of Civilizations ? ». Cette théorie, qui veut prédire le fonctionnement des relations internationales du monde post-communiste, a connu un grand succès après les attaques du 11 septembre 2001.
La théorie se base sur les différences culturelles qui seraient, selon Huntington, les raisons des guerres futures.

Cette théorie est une réponse à la théorie de Francis Fukuyama sur la fin de l’Histoire. Nous allons donc commencer par présenter la thèse de Fukuyama, puis celle de Huntington et enfin nous commenterons avec les données de l’Histoire récente et les différentes critiques qui ont été émises.

I) Contexte : la fin de l’Histoire
Durant l’été 1989, le professeur d’économie politique américain Yoshihiro Francis Fukuyama publie dans la revue The National Interest un article intitulé « The End of History ? ». Il considère que le communisme était la dernière idéologie qui pouvait s’opposer au libéralisme.
Ainsi, le libéralisme étant la seul doctrine gouvernant les hommes, il ne peut plus y avoir de guerres. Si des sociétés totalitaristes venaient à émergée, elles seraient éradiquées par la démocratie et le libéralisme.
Il reconnaît que le libéralisme doit s’adapter pour être valable dans tous les pays et qu’une période de transition va exister après la chute du communisme. Tous les pays vont rejoindre le clan des démocraties avec un temps d’adaptation (certain pays vivront dans le temps de l’histoire et les autres dans une ère post-historique) et ensuite, ajout-il, le monde sera ennuyeux. Les seuls différents seront d’ordre économique.

Cette idée est basée sur le concept décrit en 1807 par le philosophe allemand Hegel dans La Phénoménologie de l’esprit. Selon lui, la victoire des armées napoléonienne à Iéna constitue la fin de l’Histoire. En effet, avec cette victoire, les valeurs de la Révolution Française sont importées dans tous les pays et se trouve sans idéologie à affronter.

Ensuite de 1933 à 1939, lors de conférences à Paris, Alexandre Kojève, philosophe d’origine russe, reprend les théories de Hegel et la compare aux écrits de Marx et Heidegger.
Selon lui, la fin de l’Histoire à eu lieu en 1806 à Iéna comme pour Hegel. Il considère que les Etats-Unis est déjà dans la période post-historique (c’est une société sans classes) et que la Chine et l’URSS essaient de parvenir au même but par d’autres moyens.
Selon lui, l’homme post-historique s’adonne à l’art, à l’amour et au jeu. Il redevient, en quelque sorte, animal.

Fukuyama, qui dans son article cite Hegel et surtout Kojève, remet cette idée d’actualité en mentionnant que lors du XXème siècle, le libéralisme et la démocratie ont vaincus les totalitarismes (franquisme, nazisme, communisme, etc.).
Le libéralisme devient donc la seule force gouvernant le monde et la guerre devient de moins en moins possible. C’est la fin de l’Histoire qu’il définit comme étant le jour où un consensus universel sur la démocratie met un point final aux conflits idéologiques.

En se replongeant dans le contexte de fin de la guerre froide avec l’avènement de nouvelles démocraties aux quatre coins du Monde, la fin prévisible de l’URSS et son éclatement en républiques démocratiques au sens propre, on peut comprendre l’optimisme qui régnait alors.
Si on ajoute que Fukuyama suit le point de vu américain et qu’on ajoute qu’il est ouvertement néoconservateur, on voit comment une telle théorie à put voir le jour.

Aujourd’hui, il est clair que cette théorie ne tient pas et que la fin de l’Histoire n’est pas arrivée en 1989.
C’est ce qu’a voulu répondre Samuel Huntington avec ça théorie du choc des civilisations.
C’est ce que nous allons voir maintenant.

II) Le choc des civilisations
Samuel Philips Huntington est un professeur américain de sciences politiques à l’université de Harvard. A l’été 1993, il publie un essai dans la revue Foreign Affairs qui a pour titre « The Clash of Civilizations ? ». Le raisonnement de cet article sera poursuivit dans un livre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order publié en 1996 aux USA et l’année suivante en France.
Il développe ainsi, en plus de 500 pages, la théorie qu’il avait exposée brièvement dans son article.

1) Les civilisations
La civilisation est, le niveau d'identification le plus large dans lequel un homme peut se reconnaître, en dehors de l’espèce humaine par rapport aux autres animaux. Ainsi, un habitant de Rome se définit, avec plus ou moins d'intensité, romain, italien, catholique, chrétien, européen, occidental.
Ou alors il peut se définir par opposition aux autres. Je suis occidental car je ne suis pas musulman, confucéen, hindou, etc.

Dans le livre, les différences entre civilisations résultent d'un long processus historique et portent, notamment, sur les relations entre Dieu et l’homme, l’individu et le groupe, le citoyen et l'État, l’homme et la femme ainsi que sur l’importance relative des droits et responsabilités, de la liberté et de l’autorité, de l’égalité et de la hiérarchie.

Huntington donne la liste des civilisations (cf. carte). Occidentale (chrétienne catholique et protestante, en bleu foncé sur la carte), Confucianiste (ou chinoise, en rouge sombre), Bouddhiste (jaune), Japonaise (en rouge), Islamique (en vert), Hindouiste (en orange), Slavo-orthodoxe (en bleu ciel), Latine américaine (en violet) et, peut-être, Africaine (en marron).
Il existe également des États qui ne font parti d’aucune civilisation comme l'Éthiopie, Haïti et la Turquie. Israël serait un pays et une civilisation à part entière mais très proche de l’Occident.

Les principaux critères de définition des civilisations sont, en vérité, les religions. Mais dans certains cas la proximité géographique et linguistique est prise en compte.
On peut bien entendu remettre en cause cette classification ainsi que se demander pourquoi la civilisation africaine existe « peut-être ». Nous allons en discuter dans la partie 3.

2) Les conflits
Alors que dans les conflits entre idéologies, l’on pouvait choisir son camp, dans les conflits civilisationnels, la ligne de partage ami ennemi se fait suivant l’identité ("Qui êtes-vous?"), une donnée qu’on ne peut modifier.
Après la Guerre Froide, l’ordre mondial se refonde sur les grandes civilisations. Chacune avance à son propre rythme. La mondialisation aiguise ces différences, le retour du religieux compensant l'affaiblissement de l'Etat-nation. L’exportation de l’Ouest de ses valeurs par le est soumise à l’échec parce que les civilisations sont trop différentes. C’est la réfutation de la thèse de Fukuyama qui pensait que le modèle occidental libéral et démocratique allait se rependre.

Les conflits entre ces civilisations n’élimineront pas les guerres tribales ou les conflits ethniques. Mais le potentiel de violence qui opposera les Etats et groupes n’appartenant pas aux mêmes civilisations sera infiniment plus élevé. Les chocs entre civilisations, s’ils sont internes aux pays, transformeront rapidement la nature du conflit en raison de l’implication des États frères et les lignes de combat les plus dangereuses sont celles qui coïncident avec les lignes de fractures entre les civilisations.

Ceci a pour conséquence que des peuples séparés par l’idéologie, mais de même culture ont été réunis (les deux Allemagne) ou le seront (les deux Chine, les deux Corée), alors que les sociétés unies par l’idéologie - ou le gré de l’histoire - mais divisées par la civilisation, sont soumis à l’éclatement (Yougoslavie, Soudan, Sri Lanka, ex-URSS, etc.)
Les pays qui partagent des affinités culturelles coopéreront donc économiquement et politiquement. Les organisations internationales dont les États membres reposent sur une base culturelle commune auront plus de chance de réussir (Union européenne, Union du Maghreb arabe, etc.) que celles qui tentent de transcender les cultures (ANZUS, ANSEA, etc.).

Huntington met en garde contre le monde chinois. Il considère que la Chine va vouloir prendre une position hégémonique sur l’Asie du Sud-est pour assouvir sa forte croissance économique. Il insiste sur le fait que la civilisation chinoise est basée sur une hiérarchie forte, y compris dans la société civile, contrairement à l’individualisme occidental.

La deuxième menace pour l’occident est le monde musulman du fait de sa forte expansion démographique. Les mouvements fondamentalistes agitent l’Islam aussi bien de l’intérieur qu’à ces frontières. Selon lui, les pires ennemis de ces fondamentalistes sont les groupes de musulmans qui épousent les valeurs occidentales et les importent dans leurs pays.
Huntington déclarait dans son article que l’Islam avait des frontières sanglantes ("Islam has bloody borders") et que toutes les civilisations devaient se méfier de celle-ci (Tchétchénie conflit avec le monde orthodoxe, le Cachemire avec le monde Hindou, Indonésie, et Yougoslavie avec l’Occident, Nigéria avec l’Afrique, etc.). Le fait que le monde musulman n’ait pas d'État-phare (core state, qui serait l'État le plus représentatif de la civilisation, pour l’Occident, les USA ; pour le monde Hindou, l’Inde ; pour l’Asie, la Chine ; la Russie dans le monde Orthodoxe, etc.) pose un problème de leadership qui rend la civilisation plus violente.

Il prophétise un axe islamo-confucéen ("Sino-Islamic connection") uni contre l’Occident. La Chine selon lui va se rapprocher de pays comme l’Iran et le Pakistan pour conforter sa dimension internationale.

Dans un graphique, il résume les risques de conflits civilisationnels. Plus la ligne qui unie les civilisations est épaisse plus conflictuelles seront leurs relations.

Les conflits civilisationnels peuvent selon Huntington se manifester de plusieurs manières :
- Entre deux civilisations sur leur frontière : cas de l'Islam au contact des autres civilisations (Bosnie-Herzégovine, Cachemire, Nigeria...) ;
- Entre civilisations du fait de la domination de l'Occident : les autres civilisations cherchent à s'affirmer face à un Occident dominateur (cas de l’axe islamo-confucéen);
- A l'intérieur d'une civilisation : lutte de pouvoir pour le contrôle d'une civilisation, comme la lutte entre islamistes et réformateurs dans le monde islamique ;
- Lutte à l'intérieur d'un pays : cas d'un pays déchiré entre plusieurs civilisations (Huntington cite la Turquie, le Mexique, la Russie et l'Australie).

III) Commentaires
Nous allons dans cette partie commenter la théorie du choc des Civilisations au regard des travaux ultérieurs sur le même sujet, ou sur des sujets connexes, ainsi que, évidement, les événements historiques en terme de relations internationales.

1) Les Civilisations d’Huntington
Premièrement, nous pouvons discuter du découpage en civilisation du Monde tel qu’il est proposé par Huntington.

Il dit se référer à des différences culturelles mais privilégié les frontières entre les religions. Comment expliquer alors que le monde catholique et le monde protestant soit une seule et même civilisation ? Comment a-t-il séparé le monde Latin de l’Europe du Sud ?
Il ne tient pas compte des cultures indigènes en Amérique. Ni en Amérique du Nord, puisque le continent est dans la même civilisation que l’Europe.
D’une manière plus générale, il ne tient pas compte des minorités dans les zones de civilisations. Il assimile les pays à leur majorité et à la classe dirigeante plutôt qu’à la population. Ainsi, l’Europe est une terre d’accueil pour des minorités musulmane, d’Europe de l’Est ou des populations d’outre-mer (en particulier les DOM-TOM français).
La civilisation musulmane est présentée comme homogène ce qui ne tient pas compte des différences qui peuvent exister entre les pays et les populations (chiite et sunnites, arabes et perses, africains et asiatiques, etc.).
Il est également très discutable de faire du Japon une civilisation à part entière comme il est étrange de faire de la Chine une entité toute puissante sur la zone asiatique.
Quant à l’absence, ou la possible existence, d’une civilisation africaine, on peut s’interroger sur la pensée de l’auteur. Il est clair que la civilisation africaine n’est pas homogène en termes de religion ou de culture mais pas plus ou pas moins que l’Europe ou l’Amérique Latine ne le sont. On peut donc supposer que l’auteur ne connaissait pas bien la région africaine ou qu’il avait un mépris non dissimulé pour cette région du Monde.

Que dire des Etats qui ne font partie d’aucune des civilisations ?
Ne doit-on pas voir là un échec à la modélisation ?

Pour élément de comparaison, nous fournissons deux autres tentatives de découpage du Monde en blocs civilisationnels. La première par Images Economiques du Monde (ouvrage collectif présentant un bilan complet des événements politiques, économiques et sociaux de l'année écoulée ainsi que des analyses thématiques) et la seconde par le géographe et géopoliticien français Yves Lacoste.
En comparant cette carte à celle d’Huntington, on peut voir que celle-ci tient compte des différences entre Europe occidentale et Amérique du Nord (mais pas entre monde protestant et monde catholique) que la civilisation musulmane est moins étendue et que surtout l’Océanie est considérée comme un ensemble homogène auquel les auteurs ajoute la Chine, le Japon et le monde bouddhiste. Le groupe Asie du sud est assez étrange car il comprend outre l’Inde, le Bangladesh qui est un pays dont la population est à 90% musulmane. La même remarque peut être faite pour l’Indonésie dont la population est musulmane à 88%.
Le Kazakhstan dont la moitié nord est russe et la moitié sud est musulmane a été rattaché au monde Orientale de l’ex-URSS.
Lacoste propose une vision différente de l’Occident qui serait la réunion de l’Amérique entière à l’Europe ainsi que le monde russe auquel il ajoute encore l’Australie et la Nouvelle Zélande. La civilisation musulmane est proche de celle d’Huntington à l’exception du Kazakhstan à nouveau. Mais le plus intéressant est dans le découpage de l’Asie. Elle est découpée en trois ensembles l’un centré sur l’Inde (avec le Bangladesh également), un autre sur la Chine (qui est en fait la Chine et la Mongolie) et l’autre comprend les archipels et péninsules comme étant l’Asie tournée sur la mer.

Aucun de ces découpages ne parait réellement satisfaisant. On va se poser la question de savoir s’il est vraiment intéressant de délimiter des civilisations en voyant si les conflits peuvent avoir des origines dans ces civilisations.

2) Les conflits civilisationnels et culturels
Huntington, en écrivant son essai voulait donner une nouvelle grille de lecture des conflits du Monde après la Guerre Froide. Il a donc consacré toute une partie de son livre aux conflits entre les civilisations. C’est que nous allons décrypter maintenant.

Huntington prédit que les conflits entre groupes de différentes civilisations seront plus fréquent, plus long et plus violent que les conflits entre États d’une même Civilisation (Conflicts between groups of different civilizations to be more frequent, longer, and more violent than conflicts within civilizations).
Pour contrer ce phénomène, il recommande aux puissances dominantes de chaque bloc un strict respect des zones d'influence. Ce qui signifie que les puissances majeures s'interdisent d'intervenir à l'extérieur de leur zone civilisationnelle.
En 2004, une étude de Andrej Tusicisny prouve statistique à l’appui que cette assertion n’est pas vraie (voir la référence exacte dans les sources).
Néanmoins cela ouvre une brèche et en attisant cette soi-disant différence on peut déclencher un véritable conflit, c’est le risque de la prophétie auto-réalisatrice.

Au delà du constat, analysons, les causes possibles des conflits futurs ou passés. Huntington analyse l’histoire des relations internationales comme il suit :
Dans un premier temps, les guerres avaient lieu entre les princes qui voulaient étendre leur pouvoir, puis elles ont eu lieu entre États-Nations constitués, et ce jusqu'à la première guerre mondiale. Puis, la révolution russe de 1917 a imposé un bouleversement sans précédent, en ce qu'elle promût une idéologie.
Ainsi dès ce moment, les causes de conflits ont cessé d'être uniquement liées à la conquête et au pouvoir pour devenir idéologiques. Cette vision des relations internationales trouve son point d'aboutissement dans la Guerre Froide, en ce qu'elle constitue l'affrontement de deux modèles de sociétés.
Cependant, la fin de la guerre froide marque à nouveau un tournant dans les relations internationales. Huntington nous dit qu'il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels. En effet, les opinions publiques et les dirigeants seraient nettement plus enclins à soutenir ou à coopérer avec un pays, une organisation proche culturellement.
Le monde se retrouverait, alors, bientôt confronté à un Choc des Civilisations. C’est-à-dire une concurrence plus ou moins pacifiques à des conflits plus ou moins larvés, tels ceux de la Guerre Froide, entre blocs civilisationnels.

Ainsi, avec cette grille de lecture il écarte les deux raisons qui à l’heure actuelle sont les causes de conflits les plus couramment admises.
Bernard Nadoulek propose dans son livre (voir sources) l’idée que les raisons profondes des guerres entre les Hommes sont la géographie des ressources et celles des groupes humains. Dit autrement, la répartition spatiale des ressources naturelles et celles des Hommes est le moteur principal de tous les conflits.
Les princes de l’Antiquité au Moyen-âge se battaient pour avoir le contrôle des populations paysannes et des terres agricoles qui étaient les ressources les plus importantes de l’époque.
Les États-Nations voulaient regrouper les populations semblables pour que ceux qui voulaient vivre ensemble puissent vivre ensemble.
Les colonisations européenne, espagnol, portugaise, puis française, anglaise, italienne et allemande sont des conflits d’espace pour les matières premières et les débouchés commerciaux, le tout devant alimenter la croissance fantastique résultant de la Révolution Industrielle.
Les Nazis ont fait la guerre en Europe pour conquérir « l’espace vital » (Lebensraum). Mais sur les dernières années de la Seconde Guerre Mondiale, les nazis ont surtout cherché la maitrise du pétrole et celle de l’énergie nucléaire.
L’expansionnisme russe après 1917 est la résultante d’un besoin en énergie et en main-d’œuvre de la machine industrielle soviétique.
Les conflits « chauds » de la Guerre Froide ont, pour la plupart, eus pour raison un besoin d’espace théorisé sous le nom de sphère d’influence.
L’interventionnisme américain en Irak (1991 puis 2003), en Afghanistan (2002), en Somalie (1992) ou même en Europe (depuis 1945) et en Arabie Saoudite (depuis 1945) est du à des besoins économiques et géographiques.
A l’heure actuelle, la politique américaine, la politique chinoise et celle de certains groupes fondamentalistes musulmans est basé sur la géographie et la géographie des ressources naturelles.

Cette grille de lecture n’en ai qu’une parmi d’autre. On peut par exemple lui superposer celle des civilisations mais il faut garder à l’esprit qu’aucune de ces concepts ne permet d’expliquer l’intégralité des conflits et aucune ne le permettra jamais du simple fait que la matière que l’on étudie est l’être humain en temps que groupe et que toute hypothèse est réductrice. Reste à savoir qu’elles réduction sont acceptables et lesquelles ne le sont pas.


3) L’axe islamo-confucéen
Étudions maintenant la possibilité de l’axe islamo-confucéen prophétisé par Huntington. Pour cela, nous allons voir les deux civilisations séparément, analyser pourquoi elles sont “violentes” puis nous verrons les rapports entre elles.

Premièrement, l’expansionnisme et l’interventionnisme chinois. Ils peuvent s’expliquer par des caractères économiques et géographie. Effectivement, la Chine conduit une politique agressive à l’égard de l’Occident mais surtout à l’égard des USA. Cela est dû, non pas a une volonté de domination culturelle ou civilisationnelle mais à des questions économiques et géoéconomiques. En effet, les USA et la Chine sont les plus grandes industries du Monde et elles cherchent toutes les deux à acquérir le plus possible de matières premières (pétrole, gaz, nourriture, tissu, etc.) et également a conquérir le plus de marchés pour leurs produits finis.
C’est ce qui explique l’attitude de la Chine avec le Soudan (face au problème du Darfour), avec la Birmanie (qui exporte son pétrole et son gaz à Pékin) ainsi que bien sûr la course à l’armement qui se joue entre Pékin et Washington.
La civilisation chinoise n’est pas violente en elle-même, mais elles se trouvent dans des circonstances proches de celles qu’a connues l’Europe au XIXème siècle et l’Amérique en 1945. C'est-à-dire avec une puissance économique extraordinaire et cherchant un moyen de la faire durée. Le gouvernement applique alors la doctrine de realpolitik si chère à Kissinger.

Deuxièmement, la civilisation musulmane. Huntington dit que le problème avec l’Islam n’est pas le fondamentalisme mais l’Islam lui-même. Selon lui, l’Islam est une civilisation différente (de l’Occident) avec des gens qui sont convaincu de la supériorité de leur culture et sont obsédés par l’infériorité de leur pouvoir. (Islam's borders are bloody and so are its innards. The fundamental problem for the West is not Islamic fundamentalism. It is Islam, a different civilization whose people are convinced of the superiority of their culture and are obsessed with the inferiority of their power.).
Ceci est l’illustration parfaite de ce que le philosophe et politicien américano-palestinien Edward Wadie Saïd a appelé le « choc de l’ignorance » (The Clash of Ignorance, voir sources).
Il est visible dans cet extrait que Huntington ignore complètement la réalité du Monde musulman et de l’Islam ou qu’il le caricature à dessein.
La brutalité perçue est celle de quelques extrémistes malsains mais qui réussissent à ce faire entendre plus que le reste de la population.
L’Islam n’est pas plus obsédé par l’infériorité de son pouvoir que ne le sont ceux qui tiennent de telles propos.

Enfin, l’axe islamo-confucéen contre l’Occident n’existe pas. Il est fort peu probable qu’il existera un jour sous la forme décrite par Huntington. La résurgence de la Russie sur la scène internationale montre qu’à trop vouloir s’écarter de son ennemi ‘naturel’, l’auteur s’est perdu sur le chemin.
Les relations entre ces deux civilisations sont les même qu’entre n’importe qu’elles autres Civilisations. Des relations commerciales, des échanges, des métissages et cela n’est menaçant que si l’on en a peur ou si on veut faire peur avec.

Conclusion
La théorie d’Huntington est tombée à point nommé dans le vide laissé par la fin de la guerre froide dans la communauté de la politique étrangère américaine. C’est pour cela qu’elle a eu autant de succès.
Aujourd’hui encore, certains voit dans les événements du 11 septembre et les attentats d’Al Qaida (ou attribué à eux) ainsi que l’agressivité du régime de Pékin, une confirmation des dires d’Huntington.
Il recommandait aux puissances majeures de s'interdisent d'intervenir à l'extérieur de leur zone civilisationnelle. Ce que visiblement les Etats-Unis n’ont pas fait et qui pourrait être la raison du début du Choc.

Rappelons que selon lui, chaque civilisation son identité propre et serait comme un bloc revanchard, cohérent, sans Histoire et intègre.
Or en réalité les civilisations se caractérisent par leur capacité à s’ouvrir à l’extérieur et à échanger avec d’autres pour apporter et recevoir. Le libéralisme économique contemporain et capitaliste par la voix de la mondialisation, montre que chaque aire considérée échange avec les autres. Il ne tient pas compte non plus du métissage possible entre les cultures et il considère même que certaines civilisations ne seraient pas en capacité de pouvoir se moderniser. Or cette conception est assez égocentrée sur une conception occidentale du progrès.

Ajoutons que nous avons voulu introduire ce concept dans les détails puisque cette théorie à également des mérites. Elle a mis à jour des inquiétudes sur les différences culturelles et leurs rôles dans les relations internationales. Mais surtout cela à mis en lumière le besoin de dialogue entre les cultures au plus haut niveau des États comme dans la vie quotidienne et surtout cela montre à quel point l’ignorance de l’autre, de sa culture et de son mode de vie peut être dangereux et mené à des conclusions erronées.

Glossaire
Etat-nation : C’est un État qui coïncide avec une nation ethnique, c'est-à-dire la coïncidence entre une notion d'ordre identitaire, le sentiment d'appartenance à un groupe, la nation, et une notion d'ordre juridique, l'existence d'une forme de souveraineté et d'institutions politiques et administratives qui l'exercent, l'État. Le concept s’est répandu en Europe puis dans le Monde au cours du XIXème siècle notamment sous l’action des conquêtes napoléoniennes.

Libéralisme : C’est un courant de pensée de philosophie politique, né dans l’Europe des Lumières, qui affirme les principes de liberté et de responsabilité individuelle. Il repose sur l’idée que chaque être humain possède des droits fondamentaux qu'aucun pouvoir ne peut violer. En conséquence, les libéraux veulent limiter, au profit du libre choix de chaque individu, les obligations imposées à la société par l'État ou par d'autres formes de pouvoir, quels qu'en soient la forme et le mode de désignation.

Mondialisation : Le terme mondialisation désigne le développement de liens d'interdépendance entre hommes et femmes, activités humaines et systèmes politiques à l'échelle du Monde. Ce phénomène touche la plupart des domaines avec des effets et une temporalité propres à chacun. Il évoque aussi parfois les transferts internationaux de main-d'œuvre ou de connaissances.

Néo-conservatisme : C’est un courant politique d’origine américaine apparu au cours du XXème siècle. L'axe central de la pensée des néoconservateurs est une revitalisation des valeurs patriotiques à l'intérieur des États-Unis et une politique interventionniste à l'extérieur : les États-Unis d'Amérique doivent être « respectés à travers le monde » et « reconnus comme la nation phare des droits de l'homme et de la démocratie ».

Realpolitik : Henry Kissinger définit la Realpolitik comme étant « la politique étrangère fondée sur le calcul des forces et l'intérêt national ». Dans le contexte présent, le mot est utilisé pour indiquer un manque de vision politique conduisant à un règlement uniquement à court terme des problèmes, plus particulièrement en privilégiant les intérêts économiques aux valeurs fondamentales.


Sources
 Francis Fukuyama, “The End of History?”, The National Interest, summer 1989.
 Samuel P. Huntington, “The Clash of Civilization?”, Foreign Affairs, summer 1993.
 Samuel P. Huntington, “If Not Civilizations, What? Samuel Huntington Responds to His Critics”, Foreign Affairs, November/December 1993
 Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, octobre 1997.
 Marius Reynier, « Note de lecture : Le choc des civilisations », Licence d’ethnologie, 1998 - 1999.
 Edward W. Said, “The Clash of Ignorance”, The Nation, October 2001.
 Engin I. Erdem, “The ‘Clash of Civilization’: revisited after September 11”, Alternatives, summer 2002.
 Andrej Tusicisny, “Civilizational Conflicts: More Frequent, Longer, and Bloodier?”, Journal of Peace Research, vol. 41, 2004.
 Bernard Nadoulek, L’épopée des civilisations, Eyrolles, mai 2005.
 Wikipédia, l’encyclopédie libre, notamment pour les illustrations.

Par AD