mercredi 14 mai 2008

Géopolitique du cinéma

A l'occasion du 61ème festival de Cannes qui a ouvert aujourd'hui, nous vous proposons cet article un peu particulier.

Le cinéma, apparu à la fin du XIXème siècle, est à la fois un art, un divertissement, un spectacle et un enjeu économique. Nous proposons ici d’étudier la géographie du cinéma et de la relier aux enjeux économiques et politiques suscités par l’industrie florissante qui se cache derrière ce mot.

I) Géographie du cinéma

Voyons premièrement la géographie mondiale du cinéma. La production, la consommation c'est-à-dire la répartition des spectateurs et enfin d’autres données telles que les lieux de tournages, les nationalités des techniciens, etc.

1) La production

Nous pouvons d’hors et déjà citer les cinq pays qui produisent le plus de film, se sont dans l’ordre : (2005, Observatoire Européen de l’Audiovisuel)

- Inde avec 934 films par an.
- Etats-Unis avec 699 films.
- Japon avec 356 films.
- Chine et Hong Kong avec 260 films.
- France avec 240 films
L’Union Européenne a produit 798 films et le premier pays africain l’Egypte avec 24. On peut également citer les neuf pays qui n’ont produit aucun film sur la décennie 1988-1999 : les Bahamas, le Bahreïn, le Bénin, le Cambodge, le Kenya, la Namibie, le Nicaragua, le Rwanda et le Tchad (pour le reste des statistiques se rapportés aux sources et notamment le rapport de l’UNESCO).

On peut ensuite dégager des aires culturelles parmi les plus gros producteurs. Nous prenons ici les chiffres du rapport de l'UNESCO, ce sont donc les moyennes sur la décennie 1989-1999.

Tout d’abord, le groupe formé de l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui produisent à eux quatre 500 films par an et forment un marché anglophone homogène.

Ensuite le groupe européen qui produit environ 450 films dans des langues et se rapportant à des cultures diverses. Il ne s’agit pas d’un groupe homogène mais ils ont en commun leur origine géographique et le fait d’être très subventionné.

Vient ensuite le bloc asiatique avec les plus gros producteurs mondiaux. Ils ne forment pas un groupe homogène mais sont les leaders sur le marché.

25 pays ont une production entre 20et 199 films par an. Ce sont globalement les pays en développement dont l’industrie cinématographique n’est pas très stable.

Enfin une cinquantaine de pays produisent moins de 19 films par an. On trouve les pays les plus pauvres et plus peuplés (Ethiopie, Côte d’Ivoire, Irak, etc.) mais également les plus riches et moins peuplés (Irlande, Israël, Pays-Bas, etc.).

2) Les spectateurs


Les pays producteurs sont également les exportateurs au point que le rang des pays est sensiblement le même. Ainsi l’Inde premier exportateur, environ 60% de la production par ainsi à l’étranger en particulier en Afrique de l’est.

Les Etats-Unis et l’Europe sont les plus gros importateurs de films. Principalement entre les deux pôles. Ainsi les américains exportent vers l’Europe et l’Europe vers l’Amérique du Nord. Les Etats-Unis exportant environ un tiers de plus que ce qu’ils importent. Ce qui apporte un revenu annuel net de 5,6 milliards de dollars.

Les pays africains sont donc les gros importateurs, en particulier des productions européennes et américaines. L’Afrique se divise en deux sous-régions linguistiques, anglophones et francophones. Les pays anglophones reçoivent 70% environ de production américaine contre 15% de française et européennes. Les pays francophones importent également de pays européen ou des Etats-Unis (environ 40%).

L’Amérique Latine produit très peu de films et importent majoritairement des Etats-Unis. Par exemple au Chili et au Costa Rica les films hollywoodiens représentent 95% du marché intérieur.

D’autres pays, tels que la Fédération de Russie, la France, l’Allemagne et l’Italie, sont en train de prendre pied en Asie et en Afrique. Le Royaume-Uni est probablement le pays qui enregistre les plus grosses ventes à l’étranger pour ses films.

Nombres de salles par millions d’habitants


3) Autres aspects

Pour être complet nous allons aborder l’aspect géographique des lieux de tournages ainsi que les festivals.

On peut distinguer le tournage en studio et le tournage en décors naturel.

Pour les studios, on peut distinguer les studios historiques qui depuis toujours accueillent les productions nationales, aux USA à Hollywood, en Indes Bollywood, Cinecittà à Rome, etc. Mais depuis quelques années on assiste à une délocalisation des studios notamment en Australie et dans les pays d’Europe de l’Est.

Pour les décors naturels, les Etats-Unis sont les principaux lieux de tournage mais également certaines villes comme Paris ou Prague, le désert du Maroc, la Thaïlande, Pétra et Malte.

Le plus souvent les techniciens et autre intermittents sont recrutés sur les lieux de tournage.

On dénombre des festivals de cinéma dans plus de 40 pays du Monde. Certains sont de renommé internationale comme Cannes, Berlin ou Venise d’autres sont plus confidentiels comme le Festival international du film sur l'environnement au Brésil.

La France est le pays du Monde ou il y a le plus de festivals suivit par l’Allemagne avec 20, le Canada avec 18, les Etats-Unis, l’Italie.

Festivals

II) Enjeux économiques

Le cinéma a généré 23,24 milliards de dollars de recettes en 2005 uniquement pour les majors. Dans les huit pays les plus développés il y a eu, en 2007, plus de 2400 millions de tickets achetés dont 188,7 millions d’entrées en France et plus de 1448 millions aux Etats-Unis.

Sachant qu’un film coûte, en moyenne, 60 millions de dollars aux USA et un peu plus de 6 millions en France, on devine tout de suite les enjeux économiques. Entre les producteurs qui déboursent l’argent et qui attendent un retour sur investissement, les studios, les acteurs, les techniciens qui sont du personnel à payer. Les autorisations de tournages, les locations en tout genre (voitures, hôtels, lieux de tournages, avions, parfois du matériel militaire pour les films) on peut envisager facilement que les pays qui on un grand patrimoine historique cherchent à attirer les producteurs. C’est d’autant plus le cas des pays d’Europe de l’Est qui ont des équipements de l’époque soviétiques pour figurer la Russie de la guerre froide dans les productions américaines ou autres.

La distribution internationale des films est un moyen de le rentabiliser, vu que le distributeur du pays d’accueil prend à sa charge l’adaptation à son marché (traduction, doublage, sous-titrage, etc.).

Les festivals mondiaux ou régionaux sont un moyen de faire connaître le film aux professionnels, de lui trouver un distributeur et de le faire connaître auprès d’un certain public de festivaliers. Ce n’est pas un hasard si pendant le festival de Cannes se déroule chaque année le marché du film depuis 1959. Il est devenu en moins de 50 ans la première plate-forme mondiale pour le commerce international des films. L’édition 2007 à réuni plus de 10.000 personnes venus de 91 pays du monde autour de 1.590 projections et 982 films dont plus des trois quarts d’avant-premières.

Les cérémonies de remises de prix (César, Oscar, etc.) permettent de donner un second souffle à certains films.

Au delà de cet aspect de production et distribution, il y a la distribution en DVD ou VHS des films qui intervient environ six mois après leur sortie en salle et qui permet de donner une deuxième vie aux films. On comprend bien l’enjeu de la guerre des nouveaux formats HD DVD et Blu-Ray et il semble que la bataille ait été gagnée par le Blu-Ray. Mais le DVD est de plus en plus concurrencé par la vidéo à la demande sur Internet et les sites de peer-to-peer.

Pour être complet ajoutons que l’équipement des salles de cinéma est un marché important également. La rénovation, le passage aux supports numériques qui ont commencés au début de la décennie se poursuivent et sont un marché très prometteur..

Aujourd’hui une entreprise comme Thomson qui couvre toute la chaîne cinématographique, de la création à la distribution, réalise un chiffre d’affaire de 5.428 millions d'euros (en 2005).

III) Enjeux politiques

Voyons maintenant les enjeux politiques du cinéma. Au-delà de l’aspect économique qui est important pour chaque pays, il y a également des intérêts politiques à la production cinématographique.

Premièrement le rayonnement culturel du pays producteur de film. Un pays qui produit beaucoup de films prouve que sa culture et son modèle culturel est à la fois actif et efficace. Il s’agit de tendre vers la plus haute forme de domination politique qui est la domination culturelle. Le seul pays qui est pu approcher se type de domination est les Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale.

Deuxièmement, au delà de l’aspect strictement culturel. La production de films permet d’exposer des idées politiques. Les films engagés, les films de propagande sont devenus courants. Comme tout média, le film permet d’exposer son point de vue et de le diffuser. L’intérêt du cinéma est qu’il peut être, aussi bien documentaire et raconter les faits que fiction inspirée du réel et donner une interprétation personnelle des faits. Le documentaire et les films politiques existent depuis que le cinéma existe mais deviennent de plus en plus une arme politique.

Troisièmement, de part les revenus et les sources de financement, les producteurs ou les majors peuvent influencer la vie culturelle du pays dans lequel elles décident d’investir ou de ne pas investir. On parle en France de sauvegarde de l’exception culturelle mais il s’agit, en fait, de lutter contre une forme de domination politique par les idées.

Conclusion

L’industrie du cinéma est mondiale mais il y a de fortes disparités mondiales dans la répartition géographique. On constate qu’il y a des pays producteurs et exportateurs et des pays très peu producteur et fortement importateurs. Au-delà de l’aspect social et culturel, le cinéma est également une industrie. C’est un secteur très florissant et qui malgré les dangers du P2P et de la vidéo à la demande survivra comme il a survécu à la démocratisation de la télévision dans les années 1960.

On constate que la domination du marché par les Etats-Unis à la fin des années 1940 a été mise à mal par la production indienne et asiatique en général. Néanmoins, les américains gardent une place importante dans l’industrie mondiale.

La tendance à venir est l’émergence et la croissance des industries du cinéma dans les pays du « Sud ». Elles ne mettront probablement pas en danger les industries mondiales dominantes mais elles seront l’expression des différences culturelles mais également des outils de propagande nationaliste ou extrémistes.

Le cinéma reste pour beaucoup, spectateurs, producteurs, réalisateurs, qu’un divertissement et c’est ce qui en fait sa magie.

Glossaire :

HD-DVD et Blu-Ray : Il s’agit des deux supports de données qui ont pour objectif de supplanter le DVD comme moyen de sauvegarde et de diffusion des données en haute définition. Ils sont prévus pour avoir une capacité cinq fois supérieure à celle des DVD actuels.

Peer-to-peer ou P2P : il s’agit d’un protocole informatique qui permet l’échange de données entre deux ou plusieurs ordinateurs. Les réseaux de P2P sont aujourd’hui utilisés pour échanger illégalement de la musique, des films ou des vidéos via l’Internet.

Selon les estimations de l'industrie cinématographique américaine, entre 500.000 et 600.000 copies de films seraient téléchargées chaque jour sur les réseaux peer-to-peer. Un flux illégal qui représente des centaines de millions de dollars de manque à gagner pour ladite industrie (estimation pour 2003).

Sources :

Enquête sur les cinémas nationaux, UNESCO, Secteur de la culture, Division de la créativité, des industries culturelles et du droit d’auteur, mars 2000.

http://www.unesco.org/culture/industries/cinema/html_fr/product.shtml

Du local au mondial : les industries culturelles, Débat présenté et animé par Allen J. Scott, cafés géographiques, 13 avril 2005.

http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=631

AD pour GlobalAnalysis France

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